Guerre commerciale canado-américaine : les régions au bord du gouffre
Guerre commerciale canado-américaine : les régions au bord du gouffre
Maxance Chouinard
Clarté – Mars 2025

Donald Trump frappe encore. Avec l’imposition de tarifs douaniers de 25 % sur toutes les importations canadiennes (excepté le gaz naturel surtaxé à 10 %), le 47e président des États-Unis déclare à nouveau la guerre économique à son voisin du Nord. Les régions québécoises, déjà fragilisées par des décennies de désindustrialisation et de dépendance aux marchés extérieurs, risquent d’en payer le prix fort. Mais au-delà des chiffres et des statistiques, ce sont les masses laborieuses québécoises et canadiennes qui seront une fois de plus sacrifiée sur l’autel du profit capitaliste.
Avant toute chose, il est important de brosser un bref portrait global de l’économie québécoise. Le Ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie du Québec classifie les régions québécoises en trois catégories, en fonction de leur secteur d’activité économique principal. Tout d’abord, les régions ressources, comme le Bas-Saint-Laurent, dépendent largement de l’économie primaire et sont principalement composés d’industries monopolistiques. Ensuite, les régions manufacturières, telles que le Saguenay-Lac-Saint-Jean, reposent sur le secteur secondaire (transformation de matières premières) et sont principalement composées de PME. Finalement, les régions urbaines, comme Montréal, dépendent du secteur tertiaire (services et finance) et non de la production, et sont par conséquent relativement moins vulnérables à l’imposition des tarifs étrangers.
Les conséquences de ces tarifs seront immédiates : les produits canadiens deviendront plus chers aux États-Unis, rendant les exportations canadiennes moins compétitives et entraînant une chute de la demande. Or, les États-Unis restent le principal marché d’exportation des entreprises canadiennes. Dans un premier temps, certaines entreprises du secteur primaire, majoritairement en situation de monopole, pourraient absorber la perte de profit comme ce fut le cas en 2018. Mais à moyen et long terme, l’effet domino sera destructeur : ralentissement de la production, licenciements massifs, voire délocalisations vers les États-Unis pour contourner ces tarifs prohibitifs. L’économie des régions ressources, déjà fragilisée, risque l’asphyxie. Une véritable accélération des problèmes structurels de ces régions est à prévoir : exode rural, perte de services de proximité, appauvrissement généralisé… C’est un désastre social et économique annoncé !
Face à ce véritable coup de force, le gouvernement Trudeau et l’ensemble de la clique politique bourgeoise proposent des « solutions » qui ne sont en réalité que des palliatifs inefficaces, voire carrément des problèmes pour les masses laborieuses. La première consiste à négocier de nouveaux accords commerciaux avec l’Union européenne (UE) pour diversifier les marchés d’exportation. Mais remplacer une dépendance par une autre ne résout rien. À terme, une économie dépendante mène à une politique dépendante tel qu’il se voit en ce moment entre le Canada et les États-Unis. C’est un véritable transfert de richesse vers l’extérieur qui se perpétuera. Les ressources québécoises seront toujours, comme elles le sont en ce moment, exploitées à bas prix, transformées à l’étranger, puis revendues ici avec une valeur ajoutée qui profitent aux multinationales. Les masses laborieuses, elles, en paient le prix fort.
L’autre « solution » avancée est encore plus cynique : le financement public des industries touchées. Concrètement, cela signifie que l’argent des masses laborieuses, destiné à financer nos services sociaux, sera détourné pour maintenir les marges bénéficiaires de ces industries. Une fois de plus, les pertes seront socialisées tandis que les profits resteront privatisés. Une pure logique néolibérale que le gouvernement canadien, qu’il soit libéral ou conservateur, s’empressera d’appliquer ayant comme excuse de « préserver les emplois » ou « assurer la survie du marché » pour engraisser les poches de la grande bourgeoisie monopolistique canadienne, accélérant toujours plus le transfert de richesse du bas vers le haut.
Enfin, le Canada a confirmé qu’il imposera des contre-tarifs sur les importations américaines. En soi, l’imposition de telles mesures protectionnistes pourrait être bénéfique pour favoriser l’industrialisation nationale et réduire la dépendance aux importations étrangères. Or aux vues de l’état actuel de l’économie, cette mesure, loin de régler le problème, ne fera qu’aggraver la situation. L’intégration économique entre le Canada et les États-Unis est telle que surtaxer les importations américaines, à court terme, reviendrait à fragiliser les industries manufacturières locales, dépendantes des matières premières et des intrants venus du Sud. Résultat ? Une vague de fermetures et de licenciements qui toucherait de plein fouet les PME, qui composent l’essentiel du tissu économique régional.
L’hémorragie d’emplois dans les secteurs primaire et secondaire à venir affaiblira encore davantage les économies régionales, creusant l’écart de richesse entre les grandes villes, notamment Montréal et Québec, et les régions. Cette paupérisation régionale alimentera l’exode rural, accentuant la pression sur les infrastructures déjà mal en point des grands centres urbains et aggravant des crises déjà bien aiguës, comme celle du logement. Parallèlement, la multiplication des fermetures d’usines, phénomène déjà bien entamé, compliquera encore davantage toute tentative de réindustrialisation, enfermant le pays dans un cercle vicieux de dépendance et de déclin industriel.
Ce que cette crise met en lumière, c’est avant tout la dépendance toxique du Canada envers l’économie politique américaine. Une dépendance cultivée depuis bien longtemps mais fortement accélérée depuis les années 1990 par les politiques de libre-échange qui laissent toujours plus le pays à la merci des décisions de la bourgeoisie monopoliste étatsunienne et ses laquais à Washington. Pour en sortir, il ne suffit pas de réorienter les exportations ou de distribuer des aides financières aux grandes entreprises à même les fonds publics : il faut repenser le modèle économique en profondeur. Cela passe inévitablement par une véritable réindustrialisation sous contrôle public et démocratique, garantissant que la transformation des ressources naturelles se fasse ici, au bénéfice des travailleurs d’ici. Il est plus que temps de mettre fin à cette dépendance aux marchés extérieurs et de construire une économie qui sert réellement les intérêts de la majorité, des masses laborieuses.
Pour des analyses complémentaires de la situation, voir les articles « S’affranchir des États-Unis, c’est réindustrialiser le Canada et le Québec sous contrôle public et démocratique » et « Trump, la souveraineté et la question nationale » du numéro 61 de Clarté.