Trump, la souveraineté et la question nationale

Trump, la souveraineté et la question nationale


Adrien Welsh
Clarté – Janvier 2024


À peine désigné, Donald Trump enchaine les provocations. Béotien celui qui méprend la proie pour l’ombre, la lettre pour l’esprit : chacune d’elles ne correspond pas à un excès psychotique d’un psychopathe, loin s’en faut. En bon marchand de tapis, Trump maitrise le discours, la posture donc l’imposture. Son objectif reste clair : le chantage dans le plus strict des intérêts des monopoles transnationaux.

Par exemple, celui qui prétend que le Canada « coute » des centaines de milliards de dollars aux États-Unis omet une information fondamentale : sans le pétrole, la balance commerciale entre les deux pays est positive pour l’Oncle Sam. Pourtant, ce secteur ne figure pas dans sa ligne de mire, preuve de son intention véritable. Il cherche à mettre en rade toute industrie à valeur ajoutée (donc de toute indépendance économique), puis à imposer une intégration totale de l’économie canadienne à l’économie de guerre impérialiste états-unienne. L’OTAN, les 2% du PIB en dépenses militaires n’en sont que le début. La renégociation de l’AÉUMC servira très certainement de prétexte pour arracher différentes concessions pour ne pas dire capitulations.

Trump et les monopoles états-uniens n’ont aucun intérêt d’annexer le Canada de jure. De facto, ou pour reprendre la formule du magnat de la pierre, « par la force économique », c’est un oui tonitruant qui raisonne dans les milieux d’affaires depuis des décennies. En effet, depuis l’époque suivant la Deuxième Guerre mondiale, les monopoles n’ont montré d’autre intérêt que de développer le Canada autrement qu’en tant qu’appendice de l’impérialisme US. C’est ainsi que notre flux électrique est orienté Nord – Sud, tout comme notre exportation pétrolière (on parle de 81% de celle-ci exportée et de ce chiffre, 97% l’est aux États-Unis alors qu’une grande partie de sa consommation en or noir est importée).

Or, Trump en veut plus. Voyant l’économie mondiale se dérober sous les pieds de l’impérialisme états-unien, il veut faire du Canada, du Groenland (qui abrite 34 des 40 matières premières stratégiques de l’Union européenne) et du canal de Panama des colonies 2.0 ou de véritables protectorats, forcer des concessions

Dans un tel contexte, malheureusement, qu’il s’agisse des partis fédéraux, des provinces et de leurs organisations politiques, personne ne propose de tenir tête à Trump, de se débarrasser de la dépendance aux États-Unis.

Il ne serait pas étonnant que cette situation galvanise les troupes indépendantistes. Aujourd’hui, on comprend que le Bloc québécois pourrait, comme en 1993, former l’opposition officielle avec 45 sièges et ce, avec 70% de probabilités. Au Québec, bien qu’elle n’atteigne que 36%, l’option du oui à un référendum sur l’indépendance est loin d’être négligeable, d’autant plus que les indécis représentent pratiquement 10% des sondés.

Avec les récentes annonces de Trump et le fait que les affidés du capitalisme monopoliste canadien sont incapables de s’opposer et défendre la souveraineté du pays, il ne serait pas étonnant que le mouvement nationaliste se saisisse de cette opportunité pour tirer son épingle du jeu. Québec solidaire a déjà annoncé ses couleurs en soulignant la nécessité de l’indépendance pour affronter les menaces venues du Sud.

Or, il ne fait aucun doute que dans la situation actuelle, ce projet finirait par rendre un Québec indépendant et un Canada morcelé plus vulnérables devant le rouleau-compresseur impérialiste états-uniens avec Trump aux commandes. La classe ouvrière de l’ensemble des nations en serait lésée. C’est pourquoi, avec le plus de démocratie et le moins de nationalisme, il nous faut défendre la souveraineté canadienne et l’unité de la classe ouvrière, ce qui implique la garantie du droit à l’autodétermination jusqu’à et y compris la sécession de l’ensemble des nations composant le Canada à travers une nouvelle Constitution.

Cette demande cruciale fait partie d’un tout, comme l’explique le Secrétaire général du Parti communiste du Canada dans l’ouvrage Pour l’autodétermination du Québec paru à l’aube du référendum de 1980. Il est impossible de lutter efficacement contre les monopoles et leur pouvoir sans lutter pour l’égalité nationale et vice-versa.

« La solution séparatiste prônée par une section de la petite-bourgeoisie canadienne-française entrainerait de graves difficultés économiques supplémentaires aux travailleurs des deux nations, affaiblirait leur unité politique contre leurs ennemis communs – les monopoles capitalistes et les corporations multinationales, l’impérialisme canadien et américain – et affaiblirait aussi leur combat unitaire pour un changement social fondamental. […]

Un Canada divisé ne serait pas dans le meilleur intérêt des deux nations. Un Canada divisé serait inévitablement grugé davantage ou même absorbé par l’impérialisme américain. Cela n’avancerait pas les intérêts des travailleurs et la lutte pour le socialisme. Au contraire, cela les ferait reculer de bien des années. […]

Dans les conditions actuelles du capitalisme monopoliste hautement développé, la solution de la question nationale est reliée à la solution de la crise économique et politique du capitalisme. La lutte des Canadiens-français pour l’autodétermination et pour la restructuration démocratique de l’État canadien est à la base une question sociale. […]

Parce que ses besoins économiques et politiques sont en jeu, la classe ouvrière ne pourra améliorer sa situation sans soutenir la lutte pour une solution démocratique à la crise de la Confédération. La solution démocratique à la question nationale créera des conditions pour préserver l’unité du Canada et pour revaloriser la lutte commune de la classe ouvrière du Canada contre la domination du capital monopoliste. C’est précisément la solution démocratique à la question nationale qui créera les conditions nécessaires au renforcement de l’unité des travailleurs et à la réalisation par la classe ouvrière de sa mission historique, le socialisme. […]

Il faut bien comprendre que la classe ouvrière a une approche spécifique de la question nationale qui diffère de celle de la petite-bourgeoisie et de la classe capitaliste en général.

La bourgeoisie, qui exerce généralement l’hégémonie, c’est-à-dire la direction, au début de chaque mouvement national, comme la petite-bourgeoisie le fait au Québec, voit un caractère pratique à son soutien de toutes les aspirations nationales. Mais […] la politique de la classe ouvrière sur la question nationale, comme dans les autres questions, ne soutient celle de la bourgeoisie que dans une certaine direction, elle ne coïncide jamais avec la politique de la bourgeoisie. La classe ouvrière soutient la bourgeoisie seulement dans le but de créer de meilleures conditions pour la lutte de classes. […] Car pour la classe ouvrière, l’important est de renforcer sa classe contre la bourgeoisie et d’éduquer les travailleurs dans l’esprit de la démocratie conséquente et du socialisme ».

Kashtan, William (1978), “Une position de principe sur la question nationale”, in Pour l’autodétermination du Québec