Rejet de l’offre finale de Postes Canada : Les travailleuses et travailleurs ont tranché
Rejet de l’offre finale de Postes Canada : Les travailleuses et travailleurs ont tranché
J. P. Fortin
Clarté – Août 2025

Après des mois d’incertitude alimentée par l’ingérence de l’État, les travailleurs et travailleuses des Postes ont rejeté le 1er août la « dernière et meilleure offre » de Postes Canada. Tant les unités urbaines que FFRS l’ont refusée à près de 70%.
Après l’imposition de l’article 107 en décembre, le rapport Kaplan en mai, le vote organisé par le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) s’est ajouté comme une carte à jouer dans la main vide de Postes Canada afin de contourner le processus de négociation. Honte à la ministre Patty Hajdu d’avoir eu recours à cette disposition antisyndicale! Honte au gouvernement libéral de s’immiscer une énième fois dans les négociations à Postes Canada!
Si le résultat constitue, à terme, une victoire éclatante pour le Syndicat des travailleurs et travailleuses des Postes (STTP), rien n’était joué au départ. D’un côté : il y avait Postes Canada, les grands médias privés, les think tanks et chercheurs libertariens, disposant de ressources illimitées et qui se font un plaisir de culpabiliser les travailleurs et travailleuses. De l’autre : le travail militant, patient et affable, mené sur les planchers de travail. Le rejet de l’offre est une pure affirmation de souveraineté ouvrière.
Ce vote forcé, qui est une tentative désespérée de délégitimer le syndicat dans le processus de négociation, n’est pas exceptionnel. C’est une stratégie menée libéraux et conservateurs depuis des années. C’est une attaque soutenue pour éliminer les corps intermédiaires, particulièrement les syndicats, et céder aux grands monopoles privés tous les leviers démocratiques. Quand Pierre Poilievre, reprenant les mots de Donald Trump, dit défendre les travailleurs et travailleuses face aux « patrons syndicaux » (union bosses), c’est exactement ce dont il est question.
Tout le narratif de l’employeur et des grands médias repose depuis le début de la négociation cette rhétorique. C’est la volonté de déplacer la décision hors du cadre syndical, hors des mains des travailleurs et travailleuses, de transformer une décision démocratique en décision d’« experts » et de commentateurs. L’utilisation des outils juridiques déplace la lutte vers un terrain où l’État et le patronat ont un avantage clair.
C’est aussi utiliser et saisir toute crise, réelle ou fabriquée, pour promouvoir délibérément la privatisation et la libéralisation. Sachant que cette avenue est impopulaire auprès du grand public, le scénario idéal pour tous ces acteurs serait évidemment que le syndicat et les droits syndicaux soient les boucs émissaires.
Malgré tout l’arsenal déployé, le syndicat aura pu tirer avantage, durant le vote, des erreurs, des gaffes et de la déconnexion du CCRI, de Postes Canada et des autres acteurs intéressés au démantèlement du service postal. S’il est parfaitement cohérent pour des membres du STTP d’avoir voté pour accepter l’offre, face à la campagne de peur soutenue et l’étalement du conflit, l’acharnement calculateur et la sollicitation déshumanisée de Postes Canada et des grands médias a certainement été un repoussoir. Les travailleurs et travailleuses, même isolés, ne tombent pas dans le panneau face à autant de dissonances et de mauvaise foi.
La lutte continue, après le vote
Loin d’être la conclusion, le vote est une étape supplémentaire dans un conflit qui s’étire. La suite risque d’exiger la mobilisation soutenue des travailleurs et travailleuses face à une stratégie patronale d’usure. Trois scénarios semblent possibles pour la suite du conflit :
La première option, celle souhaitée par le syndicat et plusieurs qui anticipent les négos de 2028 est un arbitrage imposé par le gouvernement. Devant la pression politique et l’absence totale de volonté de négocier de la part de Postes Canada, le STTP s’est résolu à demander l’arbitrage au gouvernement. Cette solution, qui vise à sauver les meubles, a l’avantage, pour le gouvernement de balayer le conflit sous le tapis, et pour le syndicat de préserver pour un temps l’unité et les conditions de travail. Éventuellement, repousser les transformations majeures au prochain examen de mandat de la société au Parlement.
La seconde option, dictée par le Rapport Kaplan, est un long et difficile lock-out pour affaiblir les employés et semer le ressentiment envers le syndicat. Forcer les changements structurels en appauvrissant les travailleurs et travailleuses jusqu’à ce qu’ils acceptent l’offre à contrecœur. Évidemment, cette situation pourrait avoir un coût politique pour Postes Canada, mais on peut supposer que les grands médias rationaliseront la décision comme une nécessité « pour faire avancer les choses ».
La troisième option, qui relève pour plusieurs de la science-fiction, serait la conclusion d’une véritable convention collective par la voie normale de la négociation. Aussi improbable qu’elle paraisse aujourd’hui, cette option n’est pas impossible. Il est utile de rappeler que, dans la majorité des conflits à Postes Canada au cours des trente dernières années, c’est l’intervention du gouvernement qui a mis fin ou empêché les conflits.
La conclusion est politique
Dans tous les cas, le conflit à Postes Canada a des racines avant tout politiques. La dynamique économique actuelle, dans laquelle le secteur public est subordonné au capitalisme monopoliste, ridiculise les efforts purement trade-unionistes. La libéralisation du marché de la livraison est un projet politique. Il va au-delà des intérêts personnels de Doug Ettinger ou Jeff Bezos. Il n’est pas conjoncturel mais structurel, il a un caractère de classe.
L’objectif pour l’ensemble du secteur de la livraison est l’exploitation maximale des travailleurs et travailleuses au profit de grands monopoles privés, étrangers pour la plupart. Les conséquences sont la ségrégation socio-économique, la hausse des prix, la fin de l’accès universel aux services de base et le renforcement des inégalités non seulement de richesse, mais de traitement.
Ce qu’on observe à Postes Canada s’inscrit aussi dans un cadre plus large de transfert massif de richesses vers le secteur privé. L’ensemble des services publics est attaqué à tous les paliers. Ottawa coupe des milliards, Québec des centaines de millions, puis les municipalités coupent à leur tour. On coupe partout sauf dans le budget militaire. Le gouvernement Carney ambitionne de quintupler ce poste de dépenses à 150 milliards $ par an d’ici 2035.
La lutte à venir demande un changement d’échelle. Il ne s’agit plus seulement de mobiliser son milieu de travail, mais bien de mobiliser tous les alliés progressistes.
La lutte pour les services publics est la lutte de l’ensemble des travailleuses et travailleurs.
Nous ne verrons pas d’amélioration significative tant qu’une pression politique suffisante ne contraindra pas le gouvernement à freiner la libéralisation des services essentiels.
À l’approche d’un possible examen de mandat de Postes Canada, le moment est venu de fermer la porte aux monopoles étrangers et de revendiquer un véritable service public postal. Un service qui permet à la fois de défendre les conditions de travail et de garantir une infrastructure stratégique, accessible et abordable, pour toutes et tous, partout au pays.