Un lockout de trois ans prend fin au Port de Québec, mais la lutte continue!
Un lockout de trois ans prend fin au Port de Québec, mais la lutte continue!
Stéphane Doucet
Clarté – Juin 2025

Le 15 mai dernier, les débardeurs du port de Québec sont finalement retournés au travail. Ce conflit qui a commencé le 15 septembre 2022 a pris fin 973 jours plus tard. Clarté s’est entretenu avec Stéphan Arsenault, président de la section locale 2614 du SCFP, qui représente les débardeurs, pour nous faire un retour sur ce conflit qui n’est d’ailleurs pas tout à fait terminé…
Comme nous l’avait soulevé Arsenault lors de notre entretien après 6 mois de lock-out en avril 2023, le litige principal portait sur la conciliation travail-famille: les 81 débardeurs devaient être disponibles 7 jours sur 7, à un jour de préavis. L’employeur, la Société des Arrimeurs de Québec (SAQ), exigeait un recul important à ce niveau, voulant imposer des shifts de 12 heures plutôt que de 8. Le syndicat vota pour la grève générale illimitée mais l’employeur leur imposa le lock-out.
Ce que Arsenault retient de tout ça, c’est que “ce conflit-là est une attaque directe contre le syndicat local”. Effectivement, pendant presqu’une heure, le syndicaliste étala une série de bavures policières, d’incidents de harcèlement et de menaces, d’intransigeance et de mépris patronal, d’indifférence gouvernementale et il résume “on a vécu un conflit de travail style “années 60” dans les années 2020.” C’est clair que la combinaison de violence patronale et policière et le parti pris patronal des différents paliers de gouvernement a fait durer le conflit et fait souffrir les débardeurs et n’est pas sans rappeler les moments phares de notre histoire syndicale du Québec (United Aircraft, Robin Hood, La Presse, etc.). Mais ils ont tenu jusqu’au bout.
Pendant ces presque 1000 jours de lock-out, ce sont des scabs qui ont volé le travail des débardeurs. Du début à la fin, le port opérait normalement, au grand contentement des patrons qui se foutaient des accidents de travail et environnementaux dû au manque de formation et de protection syndicale. La loi anti-scab fédérale entre en vigueur le 20 juin, à peine un mois après le retour au travail. “On a vu la loi anti-scabs passer, ça n’a rien fait, on a pas pu en profiter!” déplore Arsenault.
Aujourd’hui les débardeurs sont de retour au travail, mais l’épisode de leur retour mérite d’être raconté. On se rappellera l’enthousiasme avec lequel le gouvernement Libéral de Trudeau usait de la section 107 du Code du travail pour forcer le retour au travail des ouvriers en grève sous juridiction fédérale: mécaniciens chez Westjet, cheminots chez CN et CPKC, postiers de Postes Canada et bien sûr débardeurs à Montréal, Québec et Vancouver. Le 13 novembre 2024, plus de deux ans après le début du lock-out à Québec, l’employeur du Port de Montréal décrète son propre lock-out et le gouvernement fédéral s’empresse d’ordonner l’arbitrage exécutoire pour mettre fin au conflit. Seulement 3 jours plus tard le Port est rouvert. Même sort pour les débardeurs à Vancouver qui étaient en lock-out au même moment, eux depuis le 4 novembre.
Pour ne pas avoir l’air complètement fou, le fédéral ordonne le même traitement pour le Port de Québec. Mais contrairement aux ports de Vancouver et Montréal, il n’y a aucun retour au travail pour les débardeurs, qui continuent de voir passer les scabs et ne bénéficient en rien de la victoire partielle, puisqu’elle aurait permis le retour au travail, qu’aurait pu être l’intervention fédérale. De plus, on les harcèle de plus belle sur la ligne de piquetage “maintenant qu’il n’y a plus de lock-out”. On doit plutôt attendre 4 mois avant que le patron leur offre une entrée progressive sur le lieu de travail et un minimum d’heures de formation, et un autre deux mois avant l’entrée officielle le 15 mai. L’employeur faisait tout pour faire ralentir le retour au travail, profiter du travail des scabs, humilier et provoquer le syndicat. Mais les débardeurs n’ont pas plié et sont rentrés la tête haute, sous une haie d’honneur du mouvement syndical de la ville de Québec, “fiers, contents d’être de retour au travail”.
Selon Arsenault, l’arbitrage exécutoire était une profonde injustice pour son syndicat: “Ça enlève tout pouvoir de négocier.” Malgré le conflit qui s’éternisait, les lock-outés voyaient venir la date d’entrée en vigueur de la loi anti-scabs et savaient qu’ils pouvaient tenir jusqu’au mois de juin. “Tout ça, ça a détruit l’élan de négociation.” Le boss s’est retiré de la table, sachant qu’il venait de s’être fait offrir des mois et des mois de main-d’œuvre à rabais. “La police a cassé les lignes de piquetage. C’était le boutte le plus dur. Les membres qui travaillaient ailleurs durant le conflit ont perdu leurs jobs quand la s107 a été appliquée parce que leurs boss s’imaginaient qu’ils allaient repartir au port.” Les attaques et les coups durs venaient de partout. “C’était une finale qui laisse des traces épouvantables, un gouvernement qui va vraiment pour les boss”.
Stéphan Arsenault souhaite aussi honorer deux vétérans du syndicat et du Port qui sont tombés au combat durant le conflit: Yvan Martin et Jacques Poirier. Martin, le dénommé “Quin-Quin”, “aimé de tous, un travailleur incroyable”, âgé d’un peu plus de 60 ans, qui meurt d’un infarctus en janvier 2023 en arrivant chez lui depuis la ligne de piquetage. Arsenault se rappelle que Martin lui avait confié que “jamais j’ai arrêté de travailler dans ma vie” et qu’il avait de la difficulté à vivre le fait d’être en lock-out. Selon Arsenault, le stress du lock-out aurait eu un effet considérable sur son état de santé et serait au moins en partie responsable de son décès prématuré.
Jacques Poirier, lui, issu d’une famille de débardeurs, est entré en 1989 en même temps que son frère et Arsenault. “Il ne parlait pas beaucoup mais quand il parlait, ça comptait”. Il était formateur sur le chantier, directeur de formation au syndicat, et selon Arsenault, “c’est beaucoup grâce à son travail qu’on a réussi à implanter le syndicat face à l’employeur difficile”. Poirier connaissait des problèmes de santé et durant le conflit on a découvert un cancer déjà très avancé – on lui donnait 6 mois. “Mais Jacques était un guerrier, un vrai syndicaliste, un gars qui se tient debout et il a combattu son cancer jusqu’au bout, tout comme le conflit.” Ce n’est qu’une fois retourné au travail, bien au-delà des 6 mois qu’on lui avait donnés, qu’il rentre en soins palliatifs pour finalement décéder une semaine plus tard.
Malgré leurs longues années de service, jamais le patron n’a reconnu ou marqué leurs décès. La population, par contre, a souvent été au rendez-vous pour soutenir les débardeurs: paniers de Noël, fêtes de Noël pour les familles, dons directs sur la ligne de piquetage. Pareil pour la centrale syndicale qui a soutenu les syndicalistes même durant l’entrée progressive, puisque l’employeur cherchait toujours à maintenir leurs heures au minimum pour faire durer l’humiliation et les difficultés financières. Arsenault résume: “La SAQ n’a pas pu nous casser les jambes comme ils le voulaient”.
Pourtant, le conflit n’est pas terminé: d’un côté le syndicat a accumulé plus de 60 000$ en frais d’avocat. Des débardeurs ont été emprisonnés, poursuivis au criminel pour des riens, noyés de constats d’infraction, toujours par la police du SPVQ qui agissait comme employé de la SAQ. Ils ont subi des bavures policières lors de manifs de soutien, se sont fait suivre jusqu’à chez eux lorsqu’ils quittaient la ligne de piquetage, étaient filmés 24 heures sur 24 par la police, les agents de sécurité et l’employeur. Ils ont subi toutes les indignités et doivent maintenant se défendre en cour pour des niaiseries. D’un autre côté, le processus d’arbitrage exécutoire n’a pas encore commencé, les premières dates de rencontre avec l’arbitre étant à la fin du mois de juin. La convention imposée sera en vigueur jusqu’en mai 2027, donc une nouvelle ronde de négociations devra commencer presque immédiatement. Arsenault se montre optimiste quant au contenu de la convention collective, espérant que “l’arbitre va aider à faire avancer les conditions de travail, mais il faut être réalistes, surtout si on regarde Montréal.”
Selon lui, le passage de la loi fédérale anti-scabs, bien qu’elle ne leur ait pas directement servi (pas encore du moins!), “est un changement très important; une des plus grandes fiertés du syndicat”, et que sans ce dernier, elle n’aurait pas vu le jour. C’est certainement une arme redoutable pour la prochaine négociation, même si elle ne les protège pas de la section 107.
Le mouvement ouvrier québécois a un devoir de mémoire en général, et le conflit de 2022-2025 au Port de Québec entrera certainement dans l’histoire du mouvement, étant un des plus longs, plus contentieux, plus violents lock-outs des dernières années. La petite poignée de débardeurs ont tenu le coup, contre vents et marées, contre toutes les armes du patronat coalisé qui s’était donné comme mission de briser le syndicat et d’assujettir la gang du 2614. L’histoire n’est pas finie mais nous avons maintenant la preuve que ces camarades connaissent la valeur de leur travail, de la solidarité, de la lutte, et nous n’avons pas fini d’en entendre parler. Solidarité et félicitations aux débardeurs du Port de Québec!