Uchronie de la nativité (bis) 

Uchronie de la nativité (bis) 


Adrien Welsh
redaction@journalclarte.ca
Clarté – Décembre 2023


En 2018, alors que j’étais Secrétaire général de la Ligue de la jeunesse communiste du Canada, j’avais écrit, à l’occasion du 25 décembre, une chronique un peu particulière intitulée “Uchronie de la nativité, et si Jésus était né aujourd’hui?” 

Tel qu’indiqué par le titre, j’y mettais en scène les principaux personnages de la nativité, à savoir Jésus, Marie et Joseph et m’aventurais à recréer cette scène à l’époque contemporaine en soulignant notamment que Joseph, charpentier palestinien, ferait sans doute partie de ces milliers de travailleurs palestiniens contraints d’oeuvrer pour une compagnie israélienne et que, checkpoints obligent, sa situation serait des plus précaires. 

Aujourd’hui, à l’aune du génocide en cours à Gaza, des récentes annonces de Netanyahu et d’autres partisans de l’extrême-droite israélienne visant non seulement à intensifier les frappes, mais aussi à renforcer la colonisation y compris sur la bande de Gaza, profitons de cette date symbolique censée signifier, pour les 2,4 milliards de Chrétiens dans le monde, la naissance de Jésus – ou Issa – pour répéter l’exercice avec de nouvelles données. 

L’occasion s’y prête d’autant plus que les Palestiniens de Bethléem de confession chrétienne refusent de célébrer Noël dans la situation d’épouvante actuelle, tandis que nombreux sont ceux et celles qui partagent publiquement une pensée particulière à l’égard de la Palestine, terre de naissance de Jésus. 

D’emblée, les thèmes soulevés dans la chronique d’il y a cinq ans sont tous aussi pertinents aujourd’hui. La différence principale tient en la dégradation de la situation socio-économique en Palestine après les épreuves de la période COVID et surtout les impacts des politiques d’extrême-droite du gouvernement Netanyahu et de l’attaque du 7 octobre. 

En effet, même si les épreuves qu’affronte la population de Cisjordanie sont incomparables à l’offensive israélienne la plus violente et meurtrière sur Gaza, il reste que cette première en paie les frais. 

Économiquement, au lieu des 3% d’augmentation du PIB prévue cette année, on estime que l’économie palestinienne se contractera de 3,7% avec pour impact un taux de pauvreté affectant plus du quart des 3 millions d’habitants, soit plus que lors de la période COVID. 

Privée de 80% de ses revenus, l’Autorité palestinienne est incapable de verser les salaires des fonctionnaires qui n’ont pas touché leur solde pour les mois de novembre et décembre. La cause principale est le blocage de la part des Israéliens des taxes d’importation perçues par l’Autorité palestinienne au port de Hashdod, ce qui représente 64% des recettes. 

Joseph le Charpentier 

C’est dans ce contexte de paralysie économique presque totale que Joseph, charpentier, s’apprêterait à devenir père. 

Or, outre ces considérations plus globales, son cas particulier serait également catastrophique. En effet, le 8 octobre, tous les permis de travail délivrés à des ouvriers palestiniens employés par des sociétés israéliennes ont été révoqués, privant ainsi 20% de la main d’oeuvre palestinienne de revenus. 

Or, la majorité de ceux-ci travaillent dans le bâtiment… Ainsi, remplacé par de la main d’oeuvre indienne envoyée par Narendra Modi, il se retrouverait au chômage immédiatement. La question de savoir quand passer le checkpoint 300 pour passer de Betléhem à Jérusalem ne se pose plus. 

Impossible non plus de se recycler dans une économie de subsistance locale, encore moins de se faire employer par une entreprise : sans consommation interne, leurs chiffres d’affaires sont réduits à peau de chagrin et, comme on l’a vu, l’Autorité palestinienne est incapable de verser les indemnités nécessaires à maintenir l’économie à flot. Quant à Israël, il serait illusoire, voire ridicule, d’estimer qu’un État dirigé par un gouvernement des plus ouvertement réactionnaires dont le but avoué est d’en finir avec la Palestine et les Palestiniens serait prêt un jour ou l’autre à verser quelle compensation que ce soit. 

Ainsi, la nouvelle famille ne pourrait compter, pour survivre, que sur l’aide internationale déjà insuffisante. En effet, même les “Rois mages” orientaux censés porter de l’or, de l’encens et de la myrrhe semblent peu enclin à se mettre en route : les pays du Golfe et autres bailleurs traditionnels ne sont d’aucune assistance… 

Entre le boeuf et l’âne

Outre la situation économique, Issa serait né une année où le nombre d’attaques de colons israéliens contre la population palestinienne atteignait déjà un record historique avant le 7 octobre. Après cette date, la violence s’est débridée au point où, en six semaines, 201 Palestiniens ont été ainsi massacrés, soit plus qu’au cours de l’année 2005 (détentrice du record jusque cet été).

Cette insécurité paralyse les Palestiniens et les force à rester chez eux. Tout voyage, même de quelques kilomètres, est une aventure dangereuse. Dans un tel contexte, il est tout logique que Marie, éprise de peur, use d’une extrême prudence pour donner naissance à l’abri de tous… dans une étable entre un âne et un boeuf! 

Le poids de la croix

Poussons un peu l’audace et rappelons que les épreuves de la vie de Jésus, en particulier la croix qu’il est forcé de porter sans doute dès sa naissance et non seulement à la veille de son exécution par un gouverneur à la solde de l’Empire (sans doute Netanyahu à la botte de Washington), correspond au fardeau d’être né Palestinien dans les territoires occupés…