Israël au-delà du sionisme
Israël au-delà du sionisme
Adrien Welsh
redaction@journalclarte.ca
Clarté – Janvier 2024
Que la naissance de l’État d’Israël soit enracinée dans un projet colonialiste, le sionisme, ne fait aucun doute. Dans Der Judenstaat, publié en 1886, le père du sionisme, Theodor Herzl rappelle que la création d’un foyer juif en Palestine (sous contrôle ottoman à l’époque, rappelons-le) représenterait un « un rempart de l’Europe contre l’Asie s’opposant à la barbarie ». Mais il y a pire : son essai est jalonné d’éloges envers l’empire britannique et son principal promoteur, Cecil Rhodes. Herzl souligne également que le sionisme représente « un idéal plus pur » que le socialisme et le « nihilisme » qui gangrènent, selon lui, les ouvriers juifs d’Europe de l’Est. Autrement dit, il espère que le projet sioniste détourne la classe ouvrière juive des idées révolutionnaires. En ce sens, il prouve avoir bien assimilé la leçon de son mentor spirituel Rhodes qui affirmait que l’impérialisme est la meilleure façon d’empêcher une guerre civile…
Sionisme et violence ethnique
Outre ses origines théoriques, le caractère colonialiste et réactionnaire du sionisme s’établit dans sa praxis également. Dès le début, les communautés juives s’arment et terrorisent les populations locales dans un but précis : les forcer à abandonner leurs terres et ainsi justifier le mythe de la « terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Ainsi, avant même la proclamation (unilatérale) d’indépendance d’Israël, ce qui deviendra la Tsahal quelques mois plus tard, échafaude le plan Dalet, célèbre pour les massacres et exactions commises dans nombre de villages palestiniens dont le plus connu, celui de Deir Yassin.
Même acquise, l’indépendance ne satisfait pas l’appétit de l’ogre sioniste qui rêve d’un Grand Israël. C’est ainsi qu’en 1948, puis en 1967, l’armée ne se contente pas de défendre ses frontières, mais en profite pour annexer un peu plus de territoire à telle enseigne qu’à l’issue de la Guerre des six jours, l’ensemble de la Cisjordanie, Jérusalem-Est, la bande de Gaza, mais aussi le Sianï égyptien et le Golan syrien sont occupés. Dans le cas des Territoires palestiniens, cette occupation s’accompagne de la création de colonies au mépris du droit international. Bien souvent, leurs habitants agissent en maitres des lieux. Armés et endoctrinés par une idéologie religieuse extrémiste, ils perpétuent la tradition des premiers colons, pillent les terres des paysans palestiniens lorsqu’ils ne les massacrent carrément pas avec la complicité des autorités israéliennes.
À ce sujet, alors que le génocide à Gaza fait les manchettes, on tend à oublier les répercussions de cette attaque en Cisjordanie où, depuis le 7 octobre, 4000 Palestiniens ont été arrêtés et écroués dont 150 femmes, 255 enfants et 2100 détentions administrative (donc sans jugement ni chef d’accusation), ce qui représente le nombre le plus élevé depuis 30 ans au moins. De même, les forces israéliennes ont tué 393 Palestiniens dont 92 enfants cette année, ce qui en fait la plus meurtrière depuis 2005. De ce chiffre, plus de la moitié (201) a été assassiné depuis le 7 octobre. Quant aux attaques de colons armés, on en compte plus de 400 depuis le début de la guerre, ce qui signifie 6 attentats par jour en moyenne.
Non content du climat de tension qui renforce la toute-puissance de ses soldats, le sionisme frappe encore plus fort en débloquant 100 millions de dollars supplémentaires pour les colonies.
Netanyahu criminel… au-delà de ses casseroles judiciaires
Il faut comprendre le climat politique qui prévaut depuis plusieurs années en Israël. Certains s’imaginent, à tort, que l’extrême-droite est arrivée au pouvoir avec l’actuel gouvernement à cause d’un Netanyahu désespéré qui traine des casseroles judiciaires et s’allie avec qui le veut pour conserver son immunité de Premier Ministre.
Quelle vision étriquée et anhistorique de la situation! Dès le milieu des années 1990, il présidait des manifestations de l’extrême-droite israélienne et appelait littéralement à l’assassinat de Rabin et d’Arafat, ce qu’il obtient respectivement en 1995 et une décennie plus tard… Ainsi, la loi qui institue Israël comme État juif, le transfert de la capitale de Tel-Aviv vers Jérusalem, puis l’élection d’un gouvernement qui inclut des ministres considérés jusqu’alors comme terroristes ne sont pas des accidents de parcours. Il s’agit au contraire d’un plan bien ficelé de la classe dirigeante israélienne et de Netanyahu lui-même.
Le sionisme : un projet de la classe dominante
De Herzl à Netanyahu, en passant par Ben Gurion, le sionisme a toujours été un projet réactionnaire satisfaisant les besoins d’une classe dirigeante dont le seul objectif est de jouer le fer de lance de l’impérialisme occidental au Moyen-Orient. Si ce dernier a cherché, pour des raisons purement nationalistes, à impliquer la classe ouvrière dans son projet d’État d’Israël, il n’a jamais hésité une seconde à rappeler qu’en cas de conflit entre classe et nation, il choisit la nation, donc le sionisme. Les faits l’ont prouvé au lendemain de l’indépendance, d’ailleurs.
Cependant, en 75 ans, une nation israélienne s’est constituée et, peu importe ses origines colonialistes et violentes, elle existe avec ses contradictions de classe. Comme dans tout pays capitaliste, il y a en Israël une contradiction entre une majorité ouvrière exploitée et une classe dirigeante exploiteuse qui est la seule porteuse et bénéficiaire du projet sioniste. Rappelons que de tous les pays du Moyen-Orient, Israël représente l’un de ceux où la disparité sociale est la plus élevée. Le racisme et la discrimination y sont rampants non seulement contre les Arabes (Palestiniens de 1948), mais aussi contre les populations juives séfarades ou orientales (du moins historiquement) – d’où la création des Black Panthers israéliens – puis des juifs éthiopiens et, de façon encore plus dramatique, des populations migrantes venues sans aucune religiosité en quête d’un avenir meilleur.
Faire fi de cette distinction, c’est donner raison aux sionistes et à l’extrême-droite qui cherchent à imposer leur vision d’une société israélienne monolithique afin de réduire une lutte de libération nationale et anti-impérialiste à son caractère ethnico-religieux.
Dès les années 1920, la classe ouvrière et les masses populaires de Palestine mandataire se sont unies et ont formé le Parti communiste palestinien eu égard à leur origine ethnique ou religieuse. Après les différentes séparations suivant la Seconde Guerre mondiale, ce Parti finit par se diviser entre Parti communiste de Jordanie, d’Israël et de Palestine (aujourd’hui Parti du peuple palestinien).
Pour ce qui est du PC israélien (MaKI), dès 1965, ses principaux dirigeants, soit Tawfik Toubi, Meir Vilner et Émile Habibi n’hésitent pas à adopter une position courageuse qui ne se contente pas d’être non-sioniste, mais qui se prononce clairement anti-sioniste. Dès lors, il paie les frais d’un État israélien qui ne supporte pas que ses citoyens, ouvriers qui plus est, refusent et dévoilent au grand jour la réalité et les contradictions qui sous-tendent le sionisme en plus de s’allier à la lutte du peuple palestinien.
Rappelons par ailleurs que Mahmoud Darwich, poète national palestinien, était membre du Parti communiste israélien… Était-il un traitre ou un internationaliste?
Récemment, la police israélienne a tenté d’empêcher le Parti communiste israélien et son Front pour la paix (Hadash) de tenir une assemblée le 16 décembre en plus de fortement limiter la tenue d’une marche pour la paix et un cessez-le-feu. De plus, la communiste et députée Aida Touma-Sliman a été sanctionnée tandis qu’Ayman Odeh, dirigeant du Hadash, doit affronter des procédures judiciaires pour avoir osé qualifier le gouvernement Netanyahu de fasciste à la suite des attaques du 7 octobre. Sont-ils des traitres ou des internationalistes?
Internationalisme prolétarien ou internationalisation du désir?
Les bases de l’internationalisme prolétarien sont définies par la prémisse suivante : les travailleurs des pays opprimés ont plus en commun avec leurs frères et sœurs des pays oppresseurs, ce qui signifie que non seulement les travailleurs israéliens ont plus en commun avec leurs frères palestiniens qu’avec leur « propre » classe dirigeante. En miroir, la classe ouvrière palestinienne a, fondamentalement et à long terme, plus à voir avec ses frères israéliens qu’avec ses « propres » maitres.
Inversement, l’internationalisation du désir cherche à se priver de ces forces vives essentielles à une solution démocratique et durable à la question de Palestine, ce qui n’est pas sans déplaire aux sionistes israéliens d’ailleurs. En effet, il s’agit de se confiner dans une posture stérile qui n’aide personne, ni la cause palestinienne, ni la classe ouvrière israélienne.