Syndicats et politique
Syndicats et politique
Stéphane Doucet
Clarté – Mai 2025

Dans les pages du Journal de Montréal le 31 mars, on rapportait une augmentation de 43% des licenciements collectifs (plus de 10 employés pour plus de 6 mois) en 2024 comparé à 2023, pour un total de plus de 20 000. Ajoutez à cela les 100 000 à 160 000 emplois menacés par les tarifs de Trump, ceci au Québec seulement, et la récession quasi certaine des économies canadienne et québécoise, ce n’est pas un moment pour rigoler.
Que font les syndicats? Soit ils se rangent derrière le NPD, soit ils appuient le parti Libéral sans le dire, prétextant la nécessité de voter le “moindre mal” devant la menace du parti Conservateur (c’est l’option proposée par Magali Picard). D’autres appellent à voter Bloc… Mais au final, dans un cas comme dans l’autre, tous cherchent à sous-traiter le politique aux partis bourgeois plutôt que d’échafauder une politique indépendante syndicale de masse.
Le mouvement syndical n’a pas à « endosser » un parti ou un candidat. Il doit s’impliquer dans une coalition anti-monopoliste et anti-impérialiste à travers son propre programme politique. On peut penser, à cet effet, aux « rapports moraux » de Marcel Pepin comme aux différentes résolutions votées par la FTQ en faveur d’un Parti fédéré des masses laborieuses.
En février 2023, peu de temps après le couronnement de Pierre Poilièvre à la tête du Parti conservateur du Canada, un sondage révélait que son parti attirait le plus de travailleurs syndiqués relativement aux autres. Ce sondage révélait même qu’il y avait moins de soutien au NPD parmi les travailleurs syndiqués au privé que parmi la population en général. Ce que le sondage nous révélait surtout, c’est que parmi les travailleurs syndiqués, les deux tiers votent ou Libéral ou Conservateur, avec un petit 15-20% pour les néo-démocrates.
Le sondage de 2023 est probablement caduc aujourd’hui. Beaucoup de salariés, avec la peur au ventre de perdre leur emploi, jettent leur dévolu sur Carney. On ne parle pas ici des Conservateurs endurcis, mais de plusieurs néodémocrates et bloquistes qui se pincent le nez et joignent les rangs des électeurs libéraux pour faire barrage à Poilièvre perçu comme cinquième colonne de Trump au Canada.
On constate donc une déconnexion totale et absence de préparation politique des directions syndicales auprès de leurs membres et de la classe ouvrière en général. Que la classe ouvrière soit prête à voter pour un parti qui a utilisé 4 fois l’article 107 ou un parti ouvertement antisyndical n’est ni plus ni moins qu’un constat d’échec des centrales syndicales. Comme quoi « pas de politique dans le syndicat » se résume à « la politique du patron dans le syndicat »!
Inversement, que les bonzes syndicaux canadiens appellent à voter pour un parti qui a abandonné la classe ouvrière et ses revendications au profit de l’idéologie identitariste libérale-libertaire a créé ce vide que comblent les conservateurs et autres forces réactionnaires.
Au final, alors qu’il devra jouer un rôle primordial dans la lutte contre le pouvoir des monopoles personnifié par Carney et son gouvernement, le mouvement syndical a prouvé, lors de cette campagne, qu’il n’a d’autre horizon que celui du lobbyisme. Or, ce n’est qu’en bâtissant un rapport de forces adéquat que nous saurons tenir en respect la nouvelle mouture du pouvoir des monopoles ; particulièrement si le mouvement syndical arrive s’ériger non seulement en force économique – ce que nous avons déjà vu – mais en force politique. Car le politique, c’est l’économique concentré.