Il était une fois, les Spartakiades…

Il était une fois, les Spartakiades…


Adrien Welsh
Clarté – Août 2024


Les Jeux olympiques de Paris touchent à leur fin. Comme lors de chaque édition depuis Pierre de Coubertin, on prétend qu’il s’agit d’une période de trêve politique… Mais comme toujours, la réalité est on ne peut plus loin du désir : les JO sont et ont toujours été éminemment politique.

Qu’on dénonce la participation de l’équipe israélienne alors qu’un génocide est en cours à Gaza, celle de « dissidents » cubains dans l’équipe des « réfugiés », la présence de « Taipeï chinois » (donc de Taïwan malgré la non-reconnaissance de cette entité par l’ONU), l’exclusion des athlètes russes du défilé d’ouverture : le lot des olympiques a toujours été, paradoxalement, de s’emparer du sport comme d’un instrument politique.

Si aujourd’hui, cette manifestation sportive mondiale institutionnalisée est pratiquement hégémonique, tel n’a pas toujours été le cas. Dans les années 1920, dans la foulée de la Révolution d’Octobre, l’Internationale communiste conteste l’hégémonie du Comité international olympique et l’idéologie fondamentalement belliciste et nationaliste qu’il anime et crée, sous le signe de l’internationalisme, de la paix et de la compétition fraternelle, l’Internationale rouge sportive (IRS) en 1921. Dix ans plus tard, elle compte sur 280 000 sportifs – tous ouvriers, donc amateurs – issus de 12 pays. Elle contribue à les former à la révolution prolétarienne tout en cherchant à instaurer une nouvelle forme de culture physique.

Le 5 juillet 1924, l’organe central du Parti communiste français, L’Humanité, écrit des jeux olympiques qu’ils représentent une « entreprise commerciale de grande envergure », dénaturant ainsi l’esprit sportif.

Ainsi, l’IRS cherche à faire compétition aux olympiques en organisant les « Spartakiades », nommés en l’honneur de Spartacus qui synthétise le sport et la lutte des classes tout en maintenant la référence à l’antiquité gréco-latine. En 1928, ce sont plus de 3500 hommes et près de 1000 femmes (à une époque où celles-ci ne sont pas admises aux olympiques) qui compétitionnent à Moscou. Deux autres éditions sont organisées : en 1931 à Berlin, puis en 1934 à Paris avec un certain succès puisque la rivalité entre l’IRS et le CIO ne cesse de s’exacerber, menant notamment à un boycott de ce dernier. En 1932, par exemple, la Labour Sports Union états-unienne organise, à Chicago, une contre-manifestation opposée à l’olympiade de Los Angeles.

Dans le sillage de la montée du fascisme, puis à la suite de la directive de l’Internationale communiste, l’édition de 1934 sera connue comme la « Spartakiade de l’unité » entre l’ISR communiste et l’Internationale sportive ouvrière socialiste, un autre mouvement alternatif au CIO d’obédience socialiste. À cette occasion, Henri Barbusse appelle « l’armée des jeunes hommes et des femmes aux bras solides » à se mobiliser.

Toutefois, c’est la « Spartakiade populaire » de 1936, prévue pour le mois de juillet à Barcelone, qui suscite le plus grand engouement. En effet, la victoire des fronts populaires en France et en Espagne galvanisent la jeunesse et le mouvement antifasciste, progressiste, socialiste et communiste à travers le monde. Il s’agit de battre Hitler et Mussolini coute que coute, y compris dans l’arène sportive d’autant plus que la capitale du Reich doit accueillir les olympiques en aout.

Malheureusement, cette célébration sportive qui espérait incarner le véritable esprit olympique et « célébrer l’égalité des races et des peuples » devait, coquin de sort, s’ouvrir le 19 juillet. Or, deux jours plus tôt, les troupes fascistes de Franco envahissent l’Espagne républicaine, en forçant ainsi l’annulation.

La suite est connue : les sports sont secondaires dans la lutte sanglante de la classe ouvrière et des peuples contre le nazi-fascisme, à commencer par leur enrôlement dans les Brigades internationales, puis dans la Résistance.

Après-guerre, la victoire des peuples transforme le rapport de forces international : un tiers de l’Humanité vit désormais dans un pays socialiste ou dans une démocratie populaire. L’URSS n’est plus isolée diplomatiquement. Les communistes peuvent compter sur le poids de ces pays où, pour la première fois dans l’Histoire, la classe ouvrière assume le pouvoir d’État afin de faire bouger les lignes su sein des différentes institutions multilatérales dont l’ONU, mais aussi le CIO. L’idée de « spartakiades » est donc partiellement abandonnée.

En effet, à travers la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique, les Festivals mondiaux de la jeunesse et des étudiants en perpétuent l’esprit à travers un programme d’abord militant et anti-impérialiste, mais qui donne la part belle aux sports.

Lors de la clôture des JO de Paris, les pays impérialistes rivaliseront d’autosatisfaction autour de leur classement au tableau des médailles. Mais quel fierté y a-t-il à rafler des dizaines de médailles d’or alors que dans ces mêmes pays, les infrastructures et programmes manquent pour une véritable démocratisation des sports? Alors que l’obésité et le diabète sont devenus un problème de santé publique? Alors qu’au lieu d’y promouvoir l’esprit sportif, on y institue un défaitisme, une autosuffisance mâtinés de « grossophobie » ou de « capacitisme »?

Ne s’agit-il pas là d’un constat d’échec du CIO et des jeux olympiques – du moins de leur mission officielle – au même titre que leur incapacité à garantir une trêve tant en Ukraine comme au Moyen-Orient (où Israël a escaladé la situation en assassinant à Téhéran le Chef du Hamas et un haut-gradé du Hezbollah)?

Poser ces questions, c’est y répondre…