Silence… on tue!
Silence… on tue!
Adrien Welsh
redaction@journalclarte.ca
Clarté #54 – Novembre 2023
Que ce soit clair : ce qui se produit présentement à Gaza, c’est un génocide. Les données sont claires. À l’heure de mettre sous presse, on recense plus de 11 000 morts du côté palestinien, dont une majorité de femmes et d’enfants, puis au moins 26 000 blessés. Parmi eux, 20% sont originaires du nord et se sont réfugiés au sud après qu’Israël leur intime de s’y rendre avant son offensive terrestre au nord… On parle de 50% des hôpitaux et des habitations détruites, d’au moins 5 écoles de l’UNRWA bombardées, de 3000 corps sous les décombres, de 700 000 réfugiés dans les 58 écoles que compte Gaza, la capacité d’aucune d’entre elles n’excédant 1000 places au mieux. Quant aux blessés, le seul hôpital central, qui ne comporte que 500 lits, en abrite 6000. La suite est interminable.
Pourtant, aux gouvernements canadien et québécois comme dans les médias, c’est : « silence on tue »! Legault en profite pour ouvrir son Bureau du Québec à Tel-Aviv.
En porte-voix des canons de la soldatesque israélienne, ils cherchent à discréditer coute que coute toute manifestation de solidarité avec le peuple palestinien. Lorsqu’à l’université Concordia, un pugilat (adoubé par l’administration) éclate entre pro-Palestiniens et pro-Israéliens, on accuse les « extrémistes pro-Hamas ». On souligne la prêche plus que douteuse d’un imam islamofasciste comme Adil Charkaoui, mais on refuse de traduire les unes des journaux israéliens qui parlent de nettoyage ethnique.
On en vient même à se perdre dans les méandres du particulier et à réduire ce génocide à des échauffourées locales montées en épingle, le tout pour faire oublier qu’au fond, il ne s’agit ni d’une lutte ethnique, ni d’une lutte territoriale, ni d’une lutte nationaliste; encore moins d’une lutte religieuse. Il est effectivement question d’une lutte de libération nationale, donc universelle, dirigée contre l’ennemi commun des peuples et de la classe ouvrière du monde : l’impérialisme.
Malgré cette propagande nauséabonde, les voix se lèvent de plus en plus à un point tel que globalement comme localement, les gouvernements canadien et québécois sont complètement isolés par leur refus d’appuyer la Palestine et de ne pas sanctionner Israël.
En Inde, les syndicats invectivent le Président Modi dans sa tentative de substituer les dizaines de milliers de Palestiniens dont le permis de travail est révoqué une main d’oeuvre importée d’Inde. En Belgique, le Front commun syndical ordonne à ses membres de ne pas traiter les avions transportant des armes vers Israël. En France, la CGT appelle à bloquer les entreprises israéliennes. Un nombre grandissant de pays suspendent leurs relations avec Israël tandis que les mobilisations et actions solidaires de la Palestine s’intensifient.
À Montréal seulement, nous étions 50 000 le 4 novembre. Même si les appuis se sont fait attendre, les syndicats prennent position en solidarité avec la Palestine et exigent, a minima, un cessez-le-feu tandis que différentes organisations organisent des blocages devant des entreprises exportant des armes vers Israël.
Rarement a-t-on vu, au Canada, au Québec, voire à Montréal un tel engouement et un tel potentiel d’organisation autour de questions internationales au cours des deux dernières décennies. C’est justement ce que craint la classe dirigeante : que la lutte du peuple palestinien dévoile les liens manifestes entre sionisme, impérialisme et exploitation. Elle craint qu’en période d’inflation record et de hausse des taux d’intérêts, alors que l’on appauvrit les salariés du secteur public tout en cassant les services publics du transport en commun à l’hôpital en passant par l’école, on s’aperçoive que lorsqu’il est question de guerre, les poches n’ont pas de fond. Et pour cause : les dépenses militaires en Ukraine en 18 mois à peine s’élèvent à près de 10 milliards de dollars tandis que les exportations d’armes vers Israël ont crû de 68% entre 2018 et 2021 pendant que le budget militaire canadien est censé avoir augmenté de 73% entre 2017 et 2027.
En 1917, les syndicats canadiens bloquaient des livraisons d’armes et de toute aide aux troupes canadiennes censées combattre la Révolution bolchevique. En Alberta, la Fédération du travail menaçait même de grève générale en cas d’attaque canadienne… Dans les années d’après-guerre, la CGT en France bloquait les navires et les trains transportant des munitions pour renforcer le front indochinois – c’est d’ailleurs dans ce contexte que la CIA fomente une scission et crée le syndicat jaune qu’est Force ouvrière. En 1962, la CGT décrète une grève générale et paralyse l’ensemble du pays pour forcer la fin de la guerre en Algérie.
C’est ce genre d’internationalisme, l’internationalisme prolétarien que craint plus que tout la classe dirigeante. Car à partir du moment où les travailleurs et les masses populaires comprennent qu’elles ont plus en commun avec leurs homonymes en lutte contre un ennemi que nous partageons, ils gagnent une véritable conscience de classe. Ils se rendent compte que le mantra du capitalisme, c’est « produire pour détruire » et ce, de la façon la plus violente qui soit. Ils ne se contentent plus de simples aménagements.
Pour peu que l’on se rappelle Mandela qui affirmait que la lutte du peuple sud-africain ne saurait être complète sans la libération de la Palestine, nous nous devons d’ajouter aujourd’hui que la libération de la Palestine ne sera jamais aboutie sans abattre l’impérialisme.
En ce sens, la lutte du peuple palestinien, c’est également la nôtre. Refuser d’y voir une lutte universelle dans laquelle les travailleurs et les masses populaire à travers le monde ont tout à gagner, c’est refuser le développement naturel de nos luttes contre notre ennemi commun.