Sergio Ortega et la chanson politique

Sergio Ortega et la chanson politique


Normand Raymond – Le poing artistique
redaction@journalclarte.ca
Clarté #53 – Octobre 2023


Si cette année commémore le 50e anniversaire du coup d’État du 11 septembre 1973, orchestré par le général Pinochet et soutenu par les États-Unis et la CIA au Chili, il convient également de souligner qu’il y a 20 ans, soit le 15 septembre 2003, décédait en France un des compositeurs et pianistes chiliens les plus politiquement engagés du XXe siècle, dont certaines chansons ont su traverser le temps et les frontières. Il s’agit de Sergio Ernesto Aroldo Ortega Alvarado, mieux connu comme Sergio Ortega.

Né le 2 février 1938, à Antofagasta dans le nord du Chili, il commence à jouer du piano dès l’âge de 15 ans, en autodidacte. Après des études inachevées en architecture et en littérature, il se décide finalement à entrer au conservatoire de l’Université du Chili pour étudier plus sérieusement la musique, ayant enfin trouvé sa vocation naturelle. À la même époque, il commence à militer au sein du mouvement étudiant universitaire et adhère en 1960 au Parti communiste du Chili, auquel il restera fidèle jusqu’à la fin de sa vie.

Compositeur d’hymnes mémorables

Après avoir composé les hymnes du Parti radical, des Jeunesses communistes, de la Centrale unitaire des travailleurs (CUT) et de la Fédération étudiante de l’Université du Chili, Ortega compose Venceremos sur un texte de Claudio Iturra. Cette chanson sera presque aussitôt reprise par Víctor Jara avec un autre texte et interprétée par le groupe Quilapayún, pour servir de thème à la campagne présidentielle du candidat socialiste Salvador Allende Gossens, en septembre 1970. Pour l’Unité populaire (UP), la chanson est une forme de résistance qui contribuera à l’élection du président socialiste, portant au pouvoir, en ce qui nous intéresse, pas moins de 25 députés communistes avec lui.

En juin 1973, à trois mois du coup d’État, alors que le Chili traverse des moments difficiles et que la possibilité d’une guerre civile se répand, Ortega décide de soutenir Allende avec ses armes et, en collaboration avec le groupe Quilapayún, compose El Pueblo Unido Jamás Será Vencido. Il raconte avoir été inspiré à l’origine par un jeune homme qui avait crié la phrase bien connue, alors qu’il rentrait chez lui à Santiago. Véritable cri de guerre contre les oppresseurs, scandé dans les rues d’innombrables fois, ce slogan proviendrait d’un discours prononcé dans les années 1940 par Jorge Eliécer Gaitán, un dirigeant politique colombien de gauche. Au fil du temps, cette chanson finira par se convertir en hymne international de la résistance des peuples.

Des œuvres révolutionnaires d’envergure

Également compositeur de musique de chambre, d’œuvres symphoniques, d’opéras, de cantates, etc., Ortega réalisera aussi des œuvres pour le monde universitaire, du théâtre et du cinéma, s’associant à des projets d’envergure de création musicale autant au Chili qu’en exil en France.

Au début de 1968, on lui donne la responsabilité d’enregistrer un album qui aura pour titre X la CUT, avec la participation de plusieurs représentants de la Nouvelle chanson chilienne, dont il signera la moitié des chansons en tant que compositeur, en hommage à la Centrale unique des travailleurs du Chili, principale centrale syndicale qui rassemble l’ensemble du mouvement ouvrier au Chili de 1953 à 1973.

En 1970, en collaboration avec Luis Advis, sur des textes de Julio Rojas, il met en musique le programme politique et économique de l’UP, album qui sera interprété et enregistré par le groupe Inti-Illimani sous le titre de Canto al programa.

La Fragua : Cantos para chilenos est une autre œuvre importante dont les paroles et la musique, entièrement composées par Sergio Ortega, sera interprétée et enregistrée par le groupe emblématique Quilapayún. Visant à souligner le 50e anniversaire de la fondation du Parti communiste du Chili en 1922, cette œuvre, présentée sous forme de cantate, rend hommage à l’histoire sociale du Chili et aux luttes ouvrières conduisant à l’élection du gouvernement d’Allende, qui proposait un processus de nationalisation, de réforme de l’enseignement et de programmes de santé.

Chanson politique vs chanson engagée

Selon Ortega, ce qui distingue la chanson politique de la chanson engagée, c’est que la première possède une connotation idéologique progressiste, clairement liée au marxisme. Tandis que dans la seconde, l’engagement ne définit pas nécessairement ses contours politiques ni idéologiques, et présente la réalité à partir d’un prisme idéologique beaucoup plus large et partisan. La chanson politique quant à elle renferme un double engagement, le premier envers l’idéologie marxiste et le second, envers la culture musicale et l’histoire sociale du pays.

Sous le gouvernement de l’UP, Ortega participe à la commission nationale de propagande du Parti communiste du Chili. Son expérience musicale est donc naturellement liée à sa vision politique de la société. Dans les récits littéraires de ses chansons, il raconte l’histoire non officielle du peuple chilien, qui n’est pas nécessairement étudiée dans les milieux académiques. Cet ensemble de chansons acquiert donc un rôle important en tant qu’outil de lutte idéologique et politique marxiste pour les classes marginalisées.