Projet de loi 31 : à l’approche du 1er juillet, la CAQ renforce le cycle spéculatif en logement
Projet de loi 31 : à l’approche du 1er juillet, la CAQ renforce le cycle spéculatif en logement
Manuel Johnson
redaction@journalclarte.ca
Clarté #52 – Juin 2023
Depuis plusieurs mois, la ministre responsable de l’Habitation France-Elaine Duranceau promettait un projet de loi pour « équilibrer les droits des locataires et propriétaires ». Alors que les « rénovictions » se multiplient et que les locataires affrontent un marché surchauffé par la spéculation et une pénurie chronique de logements abordables, la ministre était sous pression populaire pour apporter des protections supplémentaires aux locataires.
Sous le couvert d’un prétendu resserrement des règles concernant les évictions, la CAQ est plutôt restée fidèle à la classe qu’elle représente, en proposant l’abolition effective des « cessions de bail ».
La loi actuelle prévoit qu’un locataire peut céder son bail, et que le propriétaire ne peut s’y opposer sans motif sérieux. Cette opération juridique de transfert de bail empêche le propriétaire d’augmenter le loyer à sa guise entre deux locataires. Même si la loi interdit formellement les augmentations de loyer qui dépassent le seuil de fixation de loyer établi par règlement, dans les faits, les locataires soupçonnant une augmentation abusive lors de leur emménagement doivent entreprendre un recours et forcer le propriétaire à divulguer le dernier loyer payé sous le coup d’un subpoena. La majorité des locataires n’a pas les ressources, le temps, et l’énergie que le processus judiciaire requiert. De plus, même s’ils ont les moyens de le faire, ils peuvent être réticents à commencer leur nouvelle relation contractuelle avec un propriétaire par une demande en justice.
Pour la ministre, avoir un mécanisme – comme la cession de bail – pour faire respecter les règles de fixation de loyer constitue « une entrave au droit de propriété des propriétaires. » « Est-ce que le locataire, c’est le propriétaire de l’immeuble? Non. Ce n’est pas au locataire de contrôler la hausse de loyer pour la personne suivante », scande-t-elle. Le projet de loi 31 apporte le changement suivant : le locataire peut toujours proposer une cession de bail, mais, si le locateur y oppose, le bail sera automatiquement résilié.
Ce recul majeur pour les droits de locataires aidera à accélérer les augmentations de loyer au Québec. Il faut comprendre qu’une augmentation de loyer ne produit pas simplement une majoration des revenus mensuels du propriétaire. La valeur marchande de l’immeuble à revenus augmente en fonction du montant de loyer sur les baux. Donc, quand un propriétaire augmente le loyer de façon substantielle entre deux locataires, il augmente la valeur de revente de son immeuble. Ainsi, il peut également obtenir plus de financement de ses prêteurs sur la nouvelle valeur de l’immeuble pour acheter d’autres immeubles occupés par des locataires de longue date qui paient un loyer en dessous du marché, et renforcer ainsi la spirale spéculative.
Dans son point de presse suivant le dépôt du projet de loi, la ministre parlait des mesures pour mettre fin à la « spéculation sauvage ». Les mesures proposées ne sont que de la poudre aux yeux.
Oui, le projet de loi 31 change la procédure de contestation des évictions pour agrandissement, subdivision ou changement d’affectation du logement. Désormais, le silence du locataire ayant reçu un avis d’éviction sera pris comme un refus et le propriétaire aura 30 jours pour déposer une demande d’autorisation d’éviction devant le Tribunal administratif du logement.
Ce sont les règles qui s’appliquent déjà aux reprises de logement (quand le propriétaire veut se loger soi-même ou un dépendant dans le logement du locataire). Dans le cas de de ces demandes d’éviction, ce sera au locataire de prouver la mauvaise foi de son propriétaire. Or, comment une telle mauvaise foi peut-elle être prouvée à l’avance?
Le seul changement contenu dans ce projet de loi consiste en la compensation pour une éviction. Celle-ci passe de trois mois de loyer à un mois de loyer pour chaque année d’occupation du logement, jusqu’à 24 mois au maximum. Donc, un locataire qui occupe un logement depuis 24 ans et qui paie 500$ par mois recevra 12 000$, au lieu de 1 500$.
Cela aidera le locataire à payer tout au plus quelques mois de loyer dans le marché actuel. Et, vu les profits alléchants à la portée de main des spéculateurs quand ils réussissent à faire doubler ou tripler le loyer des logements qui étaient occupés depuis longtemps, la compensation additionnelle ne sera pas dissuasive. Leurs profits se mesurent dans ces cas par centaines de milliers de dollars, voire des millions.
Tant que le fardeau de dissuasion reste sur les épaules de l’individu dépourvu de moyens – le locataire – pour poursuivre en dommages les spéculateurs en cas d’éviction de mauvaise foi, et cela, après le coup, la spirale spéculative continuera à s’accélérer. Faire des changements cosmétiques aux règles d’éviction ne fait que masquer – au nom de l’« équilibre des droits» – l’avantage considérable que le projet de loi 31 donne aux propriétaires, en particulier les plus importants. La seule façon d’y mettre fin est d’adopter des mécanismes véritablement dissuasifs dont des amendes qui représentent le montant de la plus-value de l’immeuble obtenue en augmentant les loyers abusivement après une éviction de mauvaise foi ou entre deux locataires, et, l’expropriation des spéculateurs lorsque nécessaire.