Judiciarisation de la lutte de solidarité avec la Palestine : quatre injonctions et une entente
Judiciarisation de la lutte de solidarité avec la Palestine : quatre injonctions et une entente
Manuel Johnson
Clarté – Juillet 2024
Face à la remontée des mouvements de solidarité avec la Palestine, les sbires de l’impérialisme et apologistes de génocide, dont des étudiants sionistes et des administrations universitaires à la solde des monopoles, tentent d’utiliser les tribunaux pour faire taire les militants. Pour eux, le rapport de force favorable qu’ils comptent trouver au sein du système judiciaire semblait suffisant pour mettre en échec le mouvement de solidarité avec la Palestine de plus en plus massif.
Malheureusement pour eux, les tentatives d’écraser ce mouvement par voie judiciaire ont connu des succès mitigés.
Le 30 avril, deux étudiants sionistes (qui demandent l’anonymat dans leurs procédures) déposent une demande d’injonction provisoire (c’est-à-dire, d’urgence) pour forcer le démantèlement du campement de solidarité avec la Palestine érigé sur le campus de McGill depuis le 27 avril 2024. Ils demandent également au tribunal d’interdire toute manifestation à moins de 100 mètres des édifices de McGill. La demande est motivée par des allégations de craintes d’événements ultérieurs. Les demandeurs ne présentent aucune preuve de gestes concrets de violence ou de violation des droits d’autrui. Les demandeurs allèguent plutôt que des slogans comme « intifada révolution » les intimident et les empêchent de poursuivre leurs activités académiques. La juge Chantal Masse de la Cour supérieur rejette leur demande le 1 er mai, soulignant avec sagesse que « l’intervention des tribunaux est parfois susceptible d’être un remède pire que le mal auquel on cherche à remédier ». Devant l’absence totale de preuve concrète de la part des demandeurs, elle n’a pas le choix que de faire primer le droit à la liberté d’expression sur les craintes vagues et non appuyées de possibles gestes de violence à l’avenir. Elle rejette aussi la demande d’anonymat des deux étudiants.
L’Université de McGill, espérant combler les lacunes de preuve de ses étudiants sionistes ayant échoué à faire partir le campement, introduit sa propre demande d’injonction, le 13 mai 2024. Peine perdue et même résultat : le juge Marc St-Pierre de la Cour supérieure la rejette le 15 mai, réitérant que McGill « ne peut faire état d’aucun incident sérieux ou violent depuis l’érection des premières tentes sur le campus le 27 avril 2024. »
Entre temps, un deuxième campement en solidarité avec la Palestine est érigé sur le campus de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Le 22 mai, l’administration de l’UQAM introduit une demande d’injonction, cette fois-ci de façon plus stratégique. Au lieu de demander le démantèlement complet du campement, l’UQAM demande plutôt une ordonnance pour assurer l’accès, la sortie et la libre circulation aux immeubles du campus, et de faire cesser tout geste de vandalisme. Elle demande aussi que toute structure du camp soit à au moins 3 mètres des bâtiments Séduit par les arguments sur la sécurité, le juge Louis J. Gouin de la Cour supérieure accorde l’injonction. Cela n’a pas pour effet de faire disparaître le campement pour autant, et, quelques jours plus tard, les campeurs concluent une entente avec l’UQAM, qu’ils qualifient de victoire. En effet, l’UQAM s’engage, par cette entente, à n’avoir aucun investissement direct ou indirect dans des fonds ou compagnies qui profitent de l’armement. De plus, l’UQAM fait appel à un cessez-le-feu immédiat dans la bande de Gaza et condamne « toute attaque contre des établissements d’enseignement supérieur en Palestine. »
Finalement, le 22 mai 2024, le juge Shaun E. Finn de la Cour supérieure rend un jugement accordant une injonction permanente contre la Société étudiante de l’Université de McGill (SSMU), leur interdisant d’appliquer la politique contre le génocide adoptée démocratiquement par référendum étudiant, avec un taux d’approbation de 78,7%. Se ralliant aux arguments assimilant la critique d’Israël à l’antisémitisme, le juge estime que la politique contre le génocide viole la constitution de la SSMU, notamment sa propre politique contre l’antisémitisme.
Contrairement aux conclusions des juges Masse et St-Pierre, le juge Finn estime que le langage utilisé dans la politique est responsable d’un « climat de peur » sur le campus, dans un contexte plus large d’intolérance envers la communauté juive de Montréal. Même si aucun lien concret n’est établi entre cette politique et des incidents disgracieux comme les tirs sur un synagogue en novembre dernier, pour le juge, la politique fait partie de cette dynamique. Il cite de nombreux articles de The Gazette comme « preuve » de ce « climat d’intolérance ». Il estime que la politique est bourrée de « tropes antisémites », notamment parce que la politique utilise les termes « génocide », « nettoyage ethnique » et « apartheid » en référant aux actions d’Israël en Palestine. L’utilisation de ces termes, écrit-il, est susceptible d’exacerber les tensions et conflits sur le campus. Ratifier une politique qui demande « la condamnation immédiate des campagnes de bombardement génocidaires et le siège de Gaza […] violera nécessairement la dignité humaine du demandeur et les membres de la communauté juive de McGill » écrit le juge Finn. Il est assez extraordinaire de soutenir que la dénonciation de génocide serait une violation de la dignité humaine! Mais voilà la conclusion du juge Finn.
La multiplication des recours visant à museler les militants qui luttent pour la libération de Palestine est un signe que les impérialistes craignent l’intensification de la lutte et son expansion vers une critique plus large de l’impérialisme en général. C’est un signe de désespoir. Ils peuvent pénaliser des individus devant les tribunaux, mais ils ne pourront pas arrêter la marche inexorable vers la justice. C’est justement l’intensification des efforts de construire le pouvoir populaire, politique et social contre l’impérialisme, l’impérialisme qui, avec la complicité de Canada et Québec, avec son bureau à Tel-Aviv, empêche systématiquement l’autodétermination des Palestiniens, qui mènera ultimement à la libération de la Palestine.