Pablo Neruda, poète des travailleurs et voix des persécutés

Pablo Neruda, poète des travailleurs et voix des persécutés


Normand Raymond – Le poing artistique
redaction@journalclarte.ca
Clarté #59 – Octobre 2024


À peine douze jours après le coup d’État militaire du 11 septembre 1973 au Chili, meurt l’un des plus grands poètes du XXe siècle, Pablo Neruda. Son cœur s’arrête subitement de battre le 23 septembre 1973 à la clinique Santa María, où il est interné pour un cancer de la prostate, un jour seulement avant de s’envoler pour le Mexique. Pendant longtemps, on a prétendu que le poète avait succombé des suites de ce cancer, mais il existe maintenant des preuves tangibles, récemment révélées en laboratoire, qui confirment plutôt la thèse de l’assassinat, empoisonné par un agent sur ordre de Pinochet. Lors d’un appel téléphonique peu avant sa mort, Neruda s’était confié à son chauffeur et garde du corps, Manuel Araya, lui disant qu’il avait reçu une mystérieuse injection sur l’abdomen.

Né d’un père cheminot et d’une mère institutrice, il voit le jour sous le nom de Ricardo Eliécer Neftalí Reyes Basoalto le 12 juillet 1904 à Parral, dans le sud du Chili. Sa mère décède de tuberculose deux mois après sa naissance, et vers l’âge de deux ans, il part avec son père vivre à Temuco, dans la région de l’Araucanie. En 1920, à l’âge de 16 ans, il adopte le pseudonyme de Pablo Neruda, nom de plume qui deviendra plus tard son nom légal et sous lequel il recevra le Prix Nobel de littérature en 1971.

Guerre civile espagnole et engagement politique

Neruda fait ses premiers pas en politique lorsqu’il adhère à la Fédération étudiante de l’Université du Chili à Santiago au début des années 1920, où il étudie en pédagogie pour l’enseignement du français. Mais c’est en Espagne, alors consul du Chili à Barcelone, qu’il entre de plein pied dans l’arène politique. En juillet 1936, la guerre civile espagnole éclate et, dès lors, sa poésie se radicalise, s’orientant dans la lutte politique, allant jusqu’à se transformer en une arme antifasciste. Ému par l’assassinat de son grand ami le poète et dramaturge Federico García Lorca, fusillé par la dictature de Franco, il écrit Espagne au cœur (1937) en solidarité avec la lutte des républicains espagnols victimes des atrocités de cette guerre.

En 1939, il est nommé consul spécial pour l’immigration espagnole à Paris par le président chilien Pedro Aguirre Cerda. Il s’y distingue en tant que directeur du projet Winnipeg, un navire ayant pour mission d’amener au Chili des réfugiés espagnols stationnés en France. Ce bateau de l’espoir part le 4 aout de Pauillac, en Gironde, avec à son bord près de 2 200 hommes, femmes et enfants, pour la plupart des pêcheurs, des paysans, des intellectuels, et arrive au port de Valparaiso le 3 septembre.

Un fervent militant communiste

S’identifiant profondément avec le peuple et les dépossédés, Neruda est connu pour n’avoir jamais caché ses convictions politiques. Élu sénateur de la République pour la zone d’Antofagasta et Tarapacá en mars 1945, il dénonce les injustices et les abus commis envers les travailleurs, se bat pour leurs droits et leurs revendications, pour une société socialiste et contre l’impérialisme étatsunien. La même année, il reçoit le prix national de littérature du Chili et, en juillet, adhère au Parti communiste, devenant plus tard membre du comité central. Son entrée officielle dans ce parti ne surprend personne, parce qu’il assume les responsabilités politiques comme une sorte de développement naturel de sa carrière et de sa personnalité. Désigné par le Parti comme pré-candidat aux élections présidentielles de 1970, il retire lui-même sa candidature en faveur de Salvador Allende.

Lorsque la Loi de défense permanente de la démocratie, connue également comme la « loi maudite », est promulguée en septembre 1948 par le président Gabriel González Videla, le Parti communiste est aussitôt interdit et des centaines de dirigeants et militants sont détenus, plusieurs seront envoyés au camp de concentration de Pisagua. Neruda doit alors entrer dans la clandestinité et s’exiler pendant quatre ans. Dans une fuite légendaire, il traverse les Andes à pied et à cheval, avec l’aide de militants du Parti et de paysans mapuches. La principale tâche que lui confie le Parti est d’achever son Chant général, qu’il doit écrire en cachette dans différentes maisons solidaires.

Une poétique de la classe ouvrière

Marquée par l’influence du surréalisme et du réalisme socialiste soviétique, l’œuvre de Neruda, qui se divise en différentes périodes stylistiques, compte des milliers de pages d’une poésie aussi traditionnelle qu’innovante. Outre 51 recueils de poèmes, dont le premier, Crépusculaire, parait en 1923, il nous laisse également une pièce de théâtre Splendeur et mort de Joaquín Murrieta, mise en musique par Sergio Ortega sous la forme d’une cantate (1967). Dans son Chant général, composé de 231 poèmes et de plus de quinze mille vers répartis sur 15 sections, Neruda recompose l’histoire de l’Amérique latine et réinvente la géographie de son continent sudaméricain de ses origines jusqu’à lui-même. Commencée en 1938, ce poème épique, œuvre magistrale, parait en 1950 sous deux éditions au Mexique avec des illustrations de David Alfaro Siqueiros et de Diego Rivera. Presque simultanément, une édition clandestine publiée par le Parti voit également le jour au Chili.