Le mot en A…
Le mot en A…
Adrien Welsh
Clarté – Janvier 2024

Il fait si peur qu’il horrifie. On craint même de le prononcer, de l’écrire. On s’obstine à ne pas nommer la chose, comme si l’euphémisme dont sont si friands les réductionnistes discursifs en adoucirait la violence et l’impact.
Au fond, que les malandrins cleptocrates de la classe dirigeante remplacent « austérité » par « redressement » (tel Michel Barnier en France) ou « équilibre budgétaire » (Legault au Québec) n’étonne personne. Pour eux, il ne s’agit que d’un exercice de style des plus médiocres avec pour dessein d’oindre d’onguents imaginaires les stigmates encore béants des crimes commis par les monopoles impérialistes que l’on identifiait comme le « un pourcent » à l’époque.
Qui a oublié le délabrement désespéré qui a frappé la Grèce post-2008? Alors que les Tartarins du capital financier européen coalisé et leurs thuriféraires locaux s’attablaient lors de banquets dignes de Platon, la gabegie en sus, des dizaines de milliers de Diogène en étaient réduits à vivre dans le dénuement le plus total, au coeur de tonneaux percés espérant que leurs exploiteurs s’ôteraient un jour de leur soleil…
Après la crise de 2008, le chômage explose, particulièrement chez les plus jeunes – tout comme les suicides. La prime jeunesse se retrouve enveloppée dans le linceul mortifère du désespoir. Les rues d’Athènes sont jonchées de zombies qui ne trouvent mieux que de se réfugier dans l’artifice enfumatoire de l’héroïne plutôt que d’affronter les assauts de cette austérité assassine. L’espérance de vie baisse. Dans les maternités, des nouveau-nés sont convertis en garantie monétaire : après l’accouchement, ils sont pris en otage tant que les frais médicaux ne sont pas acquittés par les familles. Même la tuberculose et le VIH connaissent une recrudescence.
Quant aux service publics, nul besoin de s’étendre sur le sujet. Tout comme les infrastructures publiques, ils sont livrés sur plateaux d’argent à la prédation des trusts et monopoles toujours à l’affut d’une bonne affaire. Plusieurs années plus tard, l’anarchie capitaliste coutera la vie à près de 60 personnes à Larissa lors d’un accident de train. De même, le régime fiscal est modifié fondamentalement pour faire porter la crise par la classe ouvrière et les masses populaires, particulièrement dans les régions insulaires où la prétendue social-démocratie « de gauche » incarnée par Syriza n’a pas hésité à imposer le pire des memoranda pour obéir aux Dieux de l’Olympe bruxellois.
En parallèle, le pays se convertit en Ile Fortunée non seulement pour l’OTAN qui croise dans la mer Égée et dans la méditerranée levantine et y installe ses bases aériennes, mais aussi pour les armateurs gabegiques, spéculateurs immobiliers et parasites de tout acabit.
Pratiquement 15 ans plus tard, quel en est le bilan économique? Le PIB et le salaire moyen ont reculé d’un quart, tandis que la dette publique est passée de 103% du PIB à 160% aujourd’hui…
Les traits sombres du tableau ci-brossé peuvent sembler exagérés. Pourtant, cette tragédie grecque s’est convertie en zarzuela espagnole. Au Portugal, elle a été réinterprétée en fado empreint de saudade. Même ici, au Québec, que ce soit sous le plus conservateur des libéraux (ou plus libéral des conservateurs, à voir), les politiques anti-sociales (désinvestissement de nos services publics, ouverture au privé, puis mise en compétition avec le public, hausse projetée des frais de scolarité, etc.) Sous l’austère Couillard, nous avons gouté à une variation locale de cette même diète avec pour seuls résultats l’appauvrissement de la classe ouvrière, le délabrement de nos services publics, des finances publiques en rade et une économie encore plus parasitaire et dépendante de l’impérialisme états-unien.
Aujourd’hui, les prétendues étrennes des premiers jours de la pandémie, lesquelles ne servaient en fait qu’à engraisser les rouages de la mise en valeur et de la circulation du capital, ont cédé la place aux coupes austéritaires.
En France, le budget Barnier, sans doute reconduit par Bayrou, prévoit 45 milliards d’euros retranchés des services publics. Au Québec, on ne parle pas de coupes, mais de « compressions » d’au moins deux milliards de dollars en santé et en éducation. L’euphémisme est d’autant plus risible qu’on le justifie par une simple coupure dans la lourdeur bureaucratique.
Pour garder les mains propres, le gouvernement impose un assainissement des finances de la part des municipalités et des sociétés de transports alors que celles-ci doivent assumer plus de responsabilités avec moins de moyens…
Pendant ce temps, des milliards pleuvent sur les monopoles privés qui, une fois leurs profits empochés, liquident, bradent et mettent à pied lorsque ce n’est pas les trois en même temps comme chez Lion Électrique. Ensuite, on nous sert de chimériques discours invoquant la responsabilité des travailleurs dans la crise de la dette et ses dérivées.
Que la CAQ verse dans les politiques anti-populaires n’étonne personne. Par contre, il est on ne peut plus risible d’entendre le PQ et le Parti libéral pousser des cris d’orfraie, de même qu’entendre Québec solidaire grimper aux rideaux devant ce « retour » de l’austérité. Pour les premiers, il s’agit d’une perfidie politicienne, les deux partis s’étant partagé les rôles pour imposer austérité, néolibéralisme et faire du Québec un pronaos du temple dollar états-unien.
Quant à Québec solidaire, « trop peu, trop tard » est le seul commentaire qui vaille. En effet, l’austérité ne se résume pas aux coupes directes ou indirectes. Elle implique également le sous-investissement dans les services et infrastructures publics, la mise en compétition du secteur public au profit du privé hautement subventionné, etc.
Ainsi, l’austérité n’a jamais disparu. Les crimes de la classe dirigeante sont sans doute différés, mais ils n’en sont pas moins macabres. Le capitalisme tue continuellement, littéralement.
En 2025, l’heure n’est pas à la résignation, mais à l’action, à la lutte intensifiée de la classe ouvrière contre ses exploiteurs. Dans un contexte où Trump fait son retour à la Maison Blanche et où sa cinquième colonne dirigée par Poilièvre semble en bonne posture pour succéder à Trudeau, il ne s’agit plus de résister. L’heure est à l’offensive.
Or, cette offensive ne peut qu’être politique : la classe dirigeante l’a compris et s’organise. À nous d’en faire de même et briser cette minerve paralysante des mouvements démocratiques, syndical et populaires qui les confine dans une posture de lobbying devant le capitalisme monopoliste d’État. À nous de nous unir et trouver le courage et l’audace, encore l’audace et toujours l’audace de nous détacher des forces politiques partisanes des grandes entreprises et de leur pouvoir pour triompher de nos exploiteurs parasitaires, barbares et meurtriers.