Legault ne détruit pas, il déconstruit…
Legault ne détruit pas, il déconstruit…
Adrien Welsh
Clarté – Novembre 2024
Tout au long de son mandat et demi, François Legault et son gouvernement n’ont jamais fait appel directement à l’austérité. Contrairement aux Libéraux de Couillard qui ont coupé près de 6 milliards de dollars, contrairement à leurs homologues péquistes qui, entrainés dans le maelström du déficit zéro à l’orée du nouveau millénaire ont coupé 4 milliards de dollars dans la santé et l’éducation seulement, les Caquistes ne se contentent pas de produire des gravats.
Au contraire, leur but est d’ériger une véritable citadelle imprenable pour les monopoles. Brique par brique, alors que l’on s’attarde sur des babils comme le changement d’heure, ou alors sur des questions secondaires comme le Troisième lien, Legault et la CAQ jubilent. En arrière-scène, ils préparent une loi signant un blanc-seing aux spéculateurs immobiliers défendue par la ministre Duranceau, une flexibilisation de l’emploi dans la construction, une réforme de l’éducation menant à sa privatisation, un moratoire sur l’émission de titres de séjour permanents, etc.
Plus fondamentalement, ils ne se contentent pas de dévier l’attention. Ils cherchent plutôt à s’attaquer de façon vicieuse aux éléments névralgiques pourtant les plus techniques, donc les plus nébuleux.
C’est ainsi que la santé et sécurité au travail a été hypothéquée il y a 3 ans et ce, dans l’indifférence de tous. C’est ainsi qu’au lieu de couper dans les services publics directement, le gouvernement impose, depuis le 1er novembre, un gel des embauches dans la fonction publique. Qui n’aime pas, en effet, cracher sur la bureaucratie et les lourdeurs administratives? Pourtant, les tâches des fonctionnaires sont loin d’être anodines. S’ils ne les assument plus, c’est soit que le privé prendra le relais, soit qu’il y aura coupure de service. Dans les deux cas, il s’agit d’un affront aux services publics, donc aux salaires socialisés; un véritable hold-up social.
Mais la palme revient au projet de loi 15, passé en force grâce au bâillon parlementaire il y a un an. Certes, et même le Collège des médecins le dénonce, il s’agit d’ouvrir la porte encore plus au privé en santé. Les couts sociaux et strictement comptables qu’une telle manœuvre engagent sont mirobolants. Par exemple, il a été établi que le CHUM doit défrayer entre 12 et 14 millions de dollars mensuellement pour renflouer ses « partenaires » privés. Polichinelle doit esclaffer devant une telle situation où il est de plus en plus clair que le privé en santé nous prive de santé…
Pourtant, ce projet de Loi ne se contente pas de mieux centraliser pour mieux orchestrer la privatisation du système de santé. En créant un seul employeur direct pour tous l’ensemble du personnel de santé, soit « Santé Québec », il impose un maraudage syndical, une désorganisation de la classe ouvrière organisée. Cet élément peut paraître faussement banal.
Effectivement, le taux de syndicalisation peut paraître plus élevé en absolu au Québec qu’ailleurs au Canada ou en Amérique du Nord. Pourtant, ces chiffres masquent une réalité tout autre. Dans le secteur privé, les taux s’équivalent. C’est donc l’existence d’un secteur public plus étendu au Québec qui permet un dynamisme syndical plus important qu’ailleurs sur le continent.
Le secteur public, notamment la santé, représentent donc la colonne vertébrale du mouvement syndical au Québec. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la réorganisation imposée par le gouvernement Legault. Outre la mise en compétition du public avec le privé, son but est clair : mettre à mal les syndicats et ainsi paver une voie triomphale pour que le patronat ne rencontre plus aucune résistance lorsqu’il devra casser les services publics.
Les services publics ne sont pas les seules victimes de cette tactique. Avec le gouvernement Legault, l’hydroélectricité est également en rade. Trève de palabres au sujet des tarifs résidentiels, même le plafonnement de ceux-ci à un maximum de 3% d’ici 2026 ne veut rien dire. Oui, on nous incite à consommer à des heures insolites, comme si un ouvrier qui doit commence son quart à 7h pouvait se permettre de manger à 3 h du matin…
Pourtant, derrière ces inepties, se cache un plan pour la privatisation de l’hydroélectricité. On le sait, même à l’époque de Lévesque, l’hydroélectricité québécoise a toujours servi principalement les intérêts des monopoles états-uniens. À aucun moment il n’a été question de revoir le réseau électrique. Les tarifs patrimoniaux ne pèsent que peu dans la balance puisqu’au final, le but était de nationaliser les opérations des monopoles états-uniens tout en leur permettant d’accéder à tarifs préférentiels à l’électricité québécoise nationalisée.
Sous prétexte d’un possible déficit énergétique, le gouvernement Legault ne cherche pas à s’engager dans la construction de nouveaux barrages. Il ne s’intéresse pas, non plus, à revoir le système et à assurer un partage énergétique est – ouest plutôt que nord – sud. Autrement dit, plutôt que de mutualiser l’énergie canadienne, il vaut mieux brader l’hydroélectricité québécoise au Massachusetts.
Le projet de loi 69 quant à lui permettrait aux monopoles de saboter le monopole public sur Hydro-Québec principalement en matière de distribution. En fait, il s’agit de casser un monopole public au profit d’entreprises privées qui espèrent faire main basse sur les richesses hydroélectriques québécoises.
On pourrait y voir une simple opération de privatisation. Pourtant, il s’agit de casser la colonne vertébrale de l’économie québécoise, tout simplement.
Ainsi, le projet de la CAQ est le suivant : casser toute possibilité de résistance en annihilant les syndicats, puis brader la souveraineté économique du Québec. Ce faisant, il se résume clairement à une intégration à l’impérialisme états-unien, à l’OTAN et à l’AEUMC.
Contrairement à ses prédécesseurs pourtant, la CAQ ne se contente pas de détruire. Elle déconstruit minutieusement et s’assure de construire une citadelle pour les monopoles que même Québec solidaire ne saura prendre d’assaut tant et aussi longtemps qu’il ne sera pas question d’en finir avec le capitalisme monopoliste d’État.