Au-delà de la surface, à Québec comme à Ottawa, les monopoles contrôlent l’État
Au-delà de la surface, à Québec comme à Ottawa, les monopoles contrôlent l’État
Adrien Welsh
Clarté – Septembre 2024
Les deux récentes élections partielles à Winnipeg et à LaSalle – Émard – Verdun ont confirmé que le Parti libéral est en proie à l’usure du pouvoir : on cherche à les faire payer leur incapacité à répondre aux besoins des masses populaires au cours des dernières années de crises. Le NPD paie également ses deux années de loyauté bienveillante envers le gouvernement Trudeau alors que les Conservateurs carguent les voiles, marquant des points y compris au sein de la classe ouvrière.
Dans la circonscription montréalaise, oppidum libéral de longue date, c’est le Bloc québécois qui remporte la mise. Pourtant, à peine 200 votes séparent l’élu du Bloc et la candidate déchue libérale. Même le candidat NPD, personnalité locale, s’en tire à relativement bon compte. Ces trois partis occupent un mouchoir de poche avec 25% des suffrages exprimés et seulement quelques centaines de voix les séparant. L’opposition aux libéraux se divise donc principalement entre le NPD et le Bloc.
Outre la grande région de la Capitale nationale et certaines circonscriptions en Beauce (région de latifundiaires et de commerçants trans-frontaliers), le Parti conservateur, qui cartonne à travers le pays, peine à prendre racine au Québec. Néanmoins, certains conservateurs honteux n’hésitent pas à voter pour le Bloc sur une base identitaire tandis que certains sociaux-démocrates appuient ce même parti en opposition au NPD à cause de son récent appui non seulement au Parti libéral, mais aussi à sa position ambigüe au sujet de la question nationale.
Avec, en filigrane, la motion de censure conservatrice, il ne fait aucun doute que le Parti libéral devra, s’il tient à la survie de son gouvernement, monnayer ses alliances selon les pressions du moment. La force du Bloc québécois – qui reflète, entre autres, la résurgence du discours nationaliste au Québec dans un contexte de crise – représente un problème majeur puisqu’il oscille entre les pressions de son aile « sociale » plutôt prompte à s’allier au NPD et sa frange plutôt « identitaire » qui se perçoit comme véritable section québécoise nationaliste du Parti conservateur.
À Ottawa aujourd’hui, la majorité des grandes entreprises semble s’entendre sur la nécessité d’un « changement de régime ». Si pendant la période COVID, les maitres-mots étaient stabilité et interventionnisme; aujourd’hui, il semble que le patronat s’impatiente et attend des mesures draconiennes pour accroitre les dépenses militaires au niveau exigé par l’OTAN, couper dans les investissements publics et imposer des privatisations pour ouvrir de nouveaux marchés que les monopoles doivent conquérir, puis imposer une baisse des salaires et des conditions de travail afin de mieux s’insérer dans une économie capitaliste mondiale sous tension, particulièrement au sein d’un marché nord-américain qui cherche à se départir de ses liens avec la Chine entre autres.
S’il est clair à Ottawa que c’est le Parti conservateur qui soit le plus à même de livrer cette offensive, on ne peut en dire autant à Québec. Certes, les enjeux sont différents notamment par leur ampleur (le Québec n’est, à proprement parler, pas un État), mais il reste que le capitalisme monopoliste n’y a pas encore choisi son poulain politique. Les alignements politiques y sont d’ailleurs plus volatiles.
Tout au long de l’année 2023 et dans les premiers mois de 2024, la CAQ glissait vers les abimes électorales. Le Parti québécois en profitait le plus jusqu’à ce que les coups de sonde de la rentrée redonnent espoir à la CAQ qui remonte là où le PQ baisse. Seulement, la dynamique actuelle s’enligne surtout vers une multiplication des acteurs. La morne course à la chefferie du Parti libéral d’il y a un an se dynamise notamment avec la multiplication des candidats dont l’ancien PDG de la Fédération des chambres du commerce du Québec, l’ex-Maire de Montréal Denis Coderre puis, récemment, Pablo Rodriguez, ministre des Transports et « lieutenant du Québec » du gouvernement Trudeau – une autre perte pour ce dernier. Quant à Québec solidaire, la formation peine de plus en plus à s’imposer sérieusement et au sein des masses populaires qu’elle instrumentalise plutôt que de les organiser et auprès du patronat (la CAQ a su manoeuvrer en maitre lors des dernières négociations du Front commun). Dans un tel contexte, opérer un virage « pragmatique » ne représente aucune valeur aux yeux du patronat qui préfère l’original à la copie, soit le « pragmatisme » de Legault.
C’est dans ce contexte où, acculé mais certainement pas vaincu, le gouvernement Legault s’est permis une « ingérence » (pas si étrangère, rassurons-nous) dans la politique fédérale. Il n’a pas hésité à faire pression sur le Parti québécois pour que celui-ci fasse pression sur ses « camarades » du Bloc afin qu’ils déposent le gouvernement Trudeau.
On sait que Legault préfèrerait un gouvernement conservateur à Ottawa. Il l’a clarifié lors de la campagne fédérale de 2021. Aujourd’hui, il s’imagine que tous ces échecs devant l’actuel gouvernement fédéral dont on le rend responsable pourraient se résorber avec Poilièvre comme Premier Ministre fédéral. Il raisonne comme il y a 40 ans… Comme si, à l’image de Mulroney, il entretenait un certain respect envers l’autonomie du Québec. Or, Poilièvre est issu de la même veine que Danielle Smith, le convoi de la Liberté, le « Wexit » et toutes ces forces qui appellent à l’autonomie provinciale sauf pour le Québec.
Du reste, Legault cherche à se servir du Bloc pour mettre le Parti québécois dans l’embarras. En effet, Yves-François Blanchet semblait très à l’aise devant les commentaires du Premier Ministre québécois. Il en a même profité pour faire pression sur le gouvernement Trudeau en s’assurant de rappeler qu’il ne voterait pas cette fois-ci la motion de censure, mais qu’il n’excluait pas d’y recourir plus tard…
En s’adressant au Parti québécois, il cherchait clairement à le placer dans un dilemme où une réponse positive suffirait à le discréditer envers son projet d’indépendance et où toute réponse négative ferait de lui un ennemi du Québec. Un coup de maitre d’un vieux routier de la vieille politique…
Quand les prochaines élections fédérales auront-elles lieu? Qui remportera les prochaines élections au Québec? Quelles seront les dynamiques parlementaires entre temps? Difficile d’y répondre sérieusement. Il reste que nous pouvons nous attendre à toute sorte de soubresauts, voire de surprises, d’alliances inusitées. Une chose est sûre : aucune d’entre elles ne se fera dans les intérêts de la classe ouvrière ni des masses populaires tant et aussi longtemps qu’elle ne s’engagera pas de façon organisée et politique contre tous les aspects du pouvoir des monopoles – y compris au sein du parlementarisme bourgeois.