Mahmoud Darwich, poétique de l’exil et de la résistance

Mahmoud Darwich, poétique de l’exil et de la résistance


Normand Raymond – Le poing artistique
redaction@journalclarte.ca
Clarté #54 – Novembre 2023


Après l’établissement de l’État d’Israël en 1948, s’ensuit la première guerre israélo-arabe. C’est donc sous une pluie de bombes que le jeune Darwich, alors âgé d’à peine 6 ans, s’enfuit avec sa famille au sud du Liban, où ils se retrouvent avec des centaines de milliers d’autres réfugiés palestiniens. Un an plus tard, lorsque la famille Darwich rentre clandestinement au pays, elle constate que son village a complètement été rasé, remplacé par un kibboutz. Désormais considérés comme « présents-absents », ils seront relégués pendant plusieurs années à de simples réfugiés apatrides sans papiers, devenant ainsi illégaux sur leurs propres terres ancestrales.

Né le 13 mars 1941 à al-Birwa, en Haute-Galilée, dans le nord d’une Palestine alors sous mandat colonial britannique, plus qu’un poète national, Mahmoud Darwich sera reconnu comme l’un des plus grands poètes arabes contemporains. Il aura écrit plus d’une vingtaine de recueils de poèmes et sept ouvrages en prose. Outre l’arabe, il parlait aussi l’hébreu, l’anglais et le français. Ses livres, qui lui ont valu de multiples prix et récompenses, ont été publiés dans plus d’une vingtaine de langues. Il meurt le 9 aout 2008 à Houston, aux États-Unis, des suites d’une troisième et dernière intervention à cœur ouvert.

Engagement politique et exil à l’étranger

En 1960, alors âgé de 19 ans, Darwich s’installe dans la ville portuaire d’Haïfa, où il publie son premier recueil de poèmes Oiseaux sans ailes. Peu après, il rejoint secrètement le Parti communiste d’Israël (Rakah), dans lequel militent ensemble Arabes et Juifs, et rédige des articles pour le journal al-Ittihad (L’Union), organe officiel du parti, et le magazine culturel, social et politique al-Jadid (Le nouveau), dont il deviendra plus tard rédacteur en chef. Se faisant historien de la cause palestinienne, pourfendeur de la politique israélienne, polémiste, penseur humaniste, critique littéraire et poéticien, il côtoiera d’autres grands écrivains et poètes palestiniens tels qu’Émile Touma, Taoufik Ziyad, Émile Habibi, Sâlim Gibran et Samih al-Qâsim.

Accusé d’activités politiques hostiles envers l’État d’Israël, il sera pourchassé pour ses écrits et se verra emprisonné à cinq reprises par les forces israéliennes de 1961 à 1969, avec assignation à résidence de 1967 à 1970. En 1971, grâce à une bourse d’études de l’Institut des sciences sociales de l’Université d’État Lomonossov de Moscou, obtenue par le Parti communiste, Darwich se rend en Union soviétique pour y suivre des études en économie politique pendant un an. Ce sera pour lui le début d’un exil de plus de trente d’ans, changeant de pays au gré des crises du Moyen-Orient. Après Moscou, il vivra au Caire, à Beyrouth, Damas, Tunis, Paris, avant de finalement rentrer sous conditions en Palestine en 1995, pour s’installer définitivement à Ramallah.

Également connu pour son engagement au sein de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine), il se voit aussitôt interdire l’entrée en Israël dès son adhésion en 1973. Travaillant d’abord comme rédacteur en chef au Centre de recherche palestinien, il sera élu en 1987 membre du Comité exécutif de l’OLP, sous la présidence de Yasser Arafat, pour qui il rédigera plusieurs discours, dont le célèbre texte de la Déclaration d’indépendance de l’État de Palestine. À partir d’un simple brouillon, Darwich en fera une œuvre poétique et lyrique sur un ton épique, qu’Arafat prononcera le 15 novembre 1988 à Alger à l’occasion de la 19e session extraordinaire du Conseil national palestinien. L’Assemblée générale de l’ONU, qui en prendra acte dans sa résolution 43/177, reconnaitra au peuple palestinien son droit à exercer la souveraineté sur son territoire. Toutefois, Darwich quittera l’OLP en 1993, en signe de protestation contre les accords d’Oslo, qui se concluent sur un simple processus de paix, ignorant par là le sort d’une immense majorité de la population palestinienne qui vit en exil.

Poète de la résistance malgré lui

D’abord impressionné par le poète palestinien Abu Salma et les poètes communistes irakiens Abd al-Wahhab al-Bayati et Badr Shakir al-Sayyab, Darwich sera aussi influencé par des poètes occidentaux tels qu’Arthur Rimbaud, Federico García Lorca et Allen Ginsberg. Ainsi encensée dans le monde arabe et inspirée d’une vision moderniste, sa poésie qui parle d’amour et de mort, mais aussi de patrie, de prison, d’exil et de guerre, résonne dans un écho d’universalité bien au-delà des frontières de la Palestine. Plusieurs de ses poèmes seront mis en musique par le compositeur libanais, Marcel Khalifé, qui en 1984 composera Ahmad al-Arabi, un opéra poétique sur des textes de Darwich.

Bien qu’il refuse de se considérer lui-même comme un poète de la résistance, l’exil qui traverse toute son œuvre et le politique qui en ressort laissent inévitablement transparaitre un authentique engagement de résistance. Darwich se nourrit principalement des images, métaphores et rythmes puisés à même la vie quotidienne d’hommes et de femmes en quête de justice, dans les luttes et le combat de son peuple. Quoi qu’il en soit, n’ayant jamais oublié son état de réfugié palestinien, il a toujours cru que sa poésie était son arme contre l’occupation, une forme d’autodéfense en faveur de la culture et de la mémoire palestiniennes, ainsi que du droit de son peuple à la souveraineté.