Entre lock-outs et grèves, la lutte se réinstalle en entreprise
Entre lock-outs et grèves, la lutte se réinstalle en entreprise
Stéphane Doucet
Clarté – Octobre 2024
Le 15 septembre marquera le deuxième anniversaire du lock-out des 81 débardeurs du Port de Québec par la Société des Arrimeurs de Québec. Un triste anniversaire pour les travailleurs, harcelés par la police qui fait passer les scabs en attendant que la loi fédérale anti-scabs prenne effet, on l’espère. À quelques centaines de kilomètres, ce sont 214 travailleurs de Vidéotron qui subissent le même sort – eux depuis le 30 octobre 2023, donc il y a presqu’un an. Eux aussi savent que les scabs occupent leurs postes pendant que la direction du monopole des télécommunications (Québecor) se la coule douce avec des augmentations de revenus de 21% entre les premiers trimestres de 2023 et 2024.
Ces deux cas ne sont que les plus longs et durs qu’on observe alors qu’on constate une contre-offensive patronale (lock-outs et négociations qui piétinent) face aux demandes de la classe ouvrière. Le Premier Ministre Legault affirmait au mois de juin 2021: “Il manque de plus en plus d’employés qualifiés. Donc, maintenant, ce sont les travailleurs qui ont le gros bout du bâton. Résultat, les salaires augmentent plus vite.”
Facile à dire, mais les faits sont tout autres: selon une analyse du SCFP publiée au mois de juin 2024, entre 2013 et 2023, les salaires des travailleurs, en tenant compte de l’inflation, n’ont augmenté en moyenne que de 39$. Si l’on exclut les secteurs les plus parasitaires (immobilier, gestion, finance et assurance), les salaires ont baissé, n’en déplaise au Premier Ministre. Il faut rajouter à cela que Statistiques Canada ne tient compte que de la masse salariale, donc l’augmentation des salaires réels est probablement plus basse encore. Bref, le gros bout du bâton, sous le système actuel, c’est le patronat qui le tient, du moins pour l’instant.
Notons d’ailleurs les lock-outs chez Prelco (CSN – depuis le 19 juin) et McKesson (CSN – depuis le 16 août), le très médiatisé lock-out ferroviaire contre les cheminots des Teamsters (22-23 août – voir la déclaration du PCC), Plomb Ste-Catherine / Terrapure (CSN – 5 mois), ou alors les plus connus chez Rolls-Royce à Lachine (CSN – 5 mois, 2022) et Ash Grove à Joliette (Unifor – 16 mois, 2021-2022). Nous constatons donc une hausse du recours au lock-out au Québec, des conflits plus longs, plus durs, plus hostiles, un climat de lutte plus ardu entre le patronat et les travailleurs.
Revenons à Legault: il n’avait pas entièrement tort, dans le sens où, contrairement à certaines périodes où les concessions avaient été faites sous couvert de “sauver les emplois” contre la menace d’exportation d’industries entières, aujourd’hui les travailleurs veulent rattrapper ce qu’ils ont perdu dû à l’inflation et ils veulent réduire la pénibilité de l’emploi maintenant! C’est justement autour de ce dernier point que tourne le conflit au Port de Québec: des horaires atypiques qui détruisent la conciliation travail-famille. Les débardeurs refusent les concessions et, contrairement à cela, demandent des améliorations. À Rolls-Royce, les travailleurs ont changé de syndicat avec l’objectif plus ou moins déclaré de se donner les outils pour mener une bataille plus féroce à la table de négociations et mettre fin à la politique des négociations concessionnaires. Dans les deux cas, le refus est total des deux côtés, et l’employeur claque la porte et espère affamer ses employés.
Donc dans un contexte de combativité croissante, les lock-outs et les grèves s’allongent toutes les deux. Une récente étude souligne justement que nous assistons à un recours historique à cette grève patronale que sont les lock-outs. Les deux résultent d’une prise de conscience, si partielle soit-elle, des enjeux de classe, d’un bord comme de l’autre de la lutte des classes. Les longues grèves récentes font partie de la même dynamique. La réponse de l’avant-garde consciente de la classe ouvrière doit être de saisir cette opportunité par la présence accrue dans ces milieux, lier les enjeux économiques aux questions politiques, faire passer le message de lutte et d’optimisme pour élargir la base de militants dans le syndicat et aller chercher un appui élargi dans la population. Quand le conflit s’intensifie, les communistes répondent : « présents » !