L’heure n’est plus à amadouer les masses populaires, mais à les organiser
L’heure n’est plus à amadouer les masses populaires, mais à les organiser
Stéphane Doucet
Clarté – Septembre 2025

Un débat public fait rage depuis le début du mois de mai suite à la publication d’un article par l’Institut économique de Montréal (IEDM) concernant l’augmentation du nombre de conflits de travail au Québec. Que ce soit les chercheurs, les grands médias, les syndicats, tous ont leur mot à dire. Selon l’IEDM, qui se base sur des données de Statistiques Canada : “ le Québec a été la cible de 91 pour cent des arrêts de travail recensés au Canada, dont la quasi-totalité étaient des grèves”. C’est le genre de données sur lesquelles la CAQ s’est appuyé pour défendre son projet de loi 89 pour faire sauter le droit de grève au Québec. Depuis cette publication, plusieurs réactions ont été recensées dans les grands médias et sur les réseaux sociaux, mais qu’en est-il véritablement en ce qui concerne le recours à la grève au Québec?
Or, la CSN a relevé une différence de taille entre les chiffres fournis par le gouvernement fédéral et le Ministère du Travail du Québec. Pour 2024, le fédéral chiffrait 759 conflits de travail au Québec, alors que le provincial n’en dénombrait que 208. Selon la CSN: “ Les représentants d’EDSC (Emploi et développement social Canada) ont confirmé à la CSN que les données sur les conflits de travail au Québec pour la période 2022-2025 sont inexactes et qu’elles doivent être complètement recalculées.” Le 16 juillet, Statistiques Canada les retirait de son site.
Le professeur Mathieu Dupuis, spécialiste de relations industrielles à l’Université Laval, rappelle qu’il “faut toujours être prudent avec l’interprétation des statistiques”. Il propose trois raisons principales pour le regain de l’action industrielle qui semble être en marche au Québec: l’inflation et les problèmes économiques, le choc de la pandémie et la prise de conscience de l’importance du travail, puis finalement l’effet “contagieux” des victoires de la mobilisation entre les différents syndicats, notamment la victoire partielle du Front commun de 2023.
Du côté syndical, deux discours à ce sujet semblent se contredire. D’une part, la CSN condamne le patronat, le gouvernement et l’IEDM pour l’utilisation de données erronnées dans le but d’imposer un recul du droit de grève au Québec et souligne que ces derniers négocient « de mauvaise foi ». Au lieu de rappeler que la grève sert l’intérêt général des travailleurs et de la classe ouvrière, on se confond en excuses, comme si quitter les machines représentait un tabou.
Les Teamsters (affiliés à la FTQ) n’hésitent pas, quant à eux, à verser dans l’ouvriérisme de façade pour rappeler que « le Québec a historiquement une tradition syndicale forte et une culture démocratique active qui favorise la mobilisation collective. » Bien essayé, dirons-nous, surtout de la part d’un syndicat répondant avant tout de l’impérialisme états-unien! Du même souffle, ils appellent néanmoins « au dialogue plutôt qu’à la confrontation législative. Les interventions unilatérales, comme la Loi 89, tendent à exacerber les tensions plutôt qu’à les résoudre. » Ils saluent le courage des grévistes, mais de l’extérieur, sans se mouiller pour récolter les fruits de la lutte des autres.
Au final, il ne s’agit que d’une différence dans la posture, dans le superficiel. Aucun syndicat n’a eu le courage de rappeler qu’entre le capital et le travail, entre les patrons et les salariés, il ne peut y avoir de dialogue, mais seulement une âpre confrontation qui, à terme, doit se traduire en lutte des classes.
Fondamentalement, qu’on ait connu au Québec 759 ou 208 grèves en 2024, n’importe que peu. Ce qui compte, c’est le rapport de forces. Si la CAQ a pu imposer la loi 89 et attaquer pour une énième fois le droit de grève au Québec, c’est parce qu’elle savait qu’elle pouvait le faire. Pari remporté, semble-t-il!
Devant une offensive si exacerbée de la classe dirigeante, l’heure n’est plus à amadouer les masses populaires comme si le mouvement syndical devait s’intégrer dans la bien séance du dialogue social tripartite (État, salariat, patronat) afin de museler les forces du travail de sorte qu’elles soient « raisonnables » devant leurs exploiteurs. L’heure est à la fierté et à l’organisation, à la hardiesse du combat contre le capitalisme monopoliste d’État. Bref, elle est à l’organisation minutieuse d’un rapport de forces adéquat pour mettre en échec le patronat et les forces de la réaction.