La fausse bonne idée de Legault en matière d’avortement

La fausse bonne idée de Legault en matière d’avortement


Marianne Breton Fontaine
redaction@journalclarte.ca
Clarté #53 – Septembre 2023


Les menaces à l’autonomie procréative des femmes ne se présentent pas toujours aussi clairement que ce que nous avons vu aux États-Unis avec le renversement du jugement Roe v Wade par la Cour suprême états-unienne. Quelques fois, ces menaces se présentent sous la forme de mesures qui ne semblent même pas viser spécifiquement les femmes, comme la privatisation dans les services publics. Elles peuvent même se camoufler sous d’apparentes bonnes intentions…

En avril dernier, le gouvernement Legault avait annoncé son projet de faire adopter une loi pour protéger le droit à l’avortement. Cette fausse bonne idée avait inquiété bien des militantes féministes puisqu’elle risquait plutôt de fournir une occasion en or aux anti-choix de mettre de l’avant des restrictions à ce droit humain fondamental. Même le Barreau avait mis en garde la ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron. Celui-ci prévenait qu’un tel projet de loi n’apporterait aucun gain, mais risquerait d’ouvrir la porte à de sérieux reculs.

Dans un article du Devoir, la porte-parole du Barreau, Mme Martine Meilleur expliquait qu’« en effet, comme c’est le cas dans plusieurs juridictions ailleurs dans le monde, le droit à l’avortement, une fois inscrit dans une loi, pourrait être limité, par exemple [au] premier trimestre de grossesse ou en appliquant des restrictions, conditions ou contraintes pour les avortements dits “tardifs” ». À l’heure actuelle, il n’y a pas de telle restriction dans le droit canadien et québécois, et c’est tant mieux ! Au Canada, aucune femme ne peut être criminalisée pour avoir obtenu un avortement, peu importe le motif de l’avortement, le nombre d’avortements ou l’avancement de la grossesse au moment d’y mettre fin.

Si le gouvernement Legault a véritablement à cœur l’autonomie procréative des femmes, il devrait plutôt répondre aux demandes répétées des mouvements féministes et ainsi rendre effectif et universel l’accès aux soins abortifs et aux services de planning familial sur l’ensemble du territoire québécois. C’est ce que nous rappelle avec justesse le rapport « Garantir le droit à l’avortement en renforçant l’accès aux services » déposé récemment par la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN) et l’Association nationale Femmes et Droit.

Le rapport appuyé par des centaines de militants et militantes et de groupes dont les centrales syndicales (CSN, CSQ, FTQ), réitèrent qu’« une mesure législative, même pro-choix, représenterait une menace pour le libre choix au Québec ».

On y lit qu’« une mesure législative offre au mouvement contre l’avortement une occasion nouvelle d’instrumentaliser le débat public et de gagner en popularité auprès de la population [qu’] une loi encadrant l’avortement ouvre la porte à des restrictions, maintenant et à l’avenir [et que] l’adoption de toute mesure législative sur l’avortement donne une raison de se mobiliser au mouvement anti-avortement québécois ».

Les autrices du rapport ajoutent : « En voulant légiférer, le gouvernement du Québec s’apprête à engendrer un débat pour lequel il n’est pas prêt. Il sous-estime les stratégies discursives de désinformation, d’appel aux émotions et d’ambigüité, largement documentées, qu’emprunte le mouvement contre l’avortement nord-américain, et qui pourraient réussir au Québec.

Plutôt que de proposer une mesure législative à laquelle le mouvement féministe s’oppose, nous demandons que le gouvernement adopte une série de mesures en lien avec la contraception, la trajectoire de soins, le financement de la recherche et le financement des organismes pro-choix dans le but d’améliorer de manière concrète le libre choix et l’accès à l’avortement au Québec. » 

Actuellement, l’accès aux soins abortifs est inégal sur le territoire. Plusieurs régions sont mal desservies, voir des déserts en cette matière comme c’est le dans la région de Terres-cries-de-la-Baie-James où aucune clinique ne prodigue ce type de soins. Cela signifie que plusieurs femmes doivent faire des centaines de kilomètres pour interrompre leur grossesse, ce qui est loin d’être une contrainte anodine pour plusieurs d’entre elles. L’accès à la pilule abortive est malheureusement assez limité, bien qu’il s’agisse d’une solution sécuritaire. De plus, malgré le fait qu’il n’y a aucune restriction légale concernant les avortements dits « tardifs », en pratique, les intervenant-e-s du milieu de la santé peuvent refuser de pratiquer un tel avortement.

Malheureusement, la situation ne va pas en s’améliorant. Avec l’adoption d’une loi comme le projet mammouth en santé (PL15) qui ouvre les portes à plus de privatisation en santé, la concentration du pouvoir, l’aggravation des conditions de travail dans le réseau public de la santé et de l’éducation, les actions du gouvernement de la CAQ nuisent au droit à l’avortement ; la privatisation des services publics de santé étant une menace directe et majeure à l’accès équitable aux soins abortifs.