Le rail privé assassine

Le rail privé assassine


Jalava Rautatieläinen
redaction@journalclarte.ca
Clarté – Mars 2023


Le 6 juillet prochain marquera le 10e anniversaire depuis la tragédie de Lac Mégantic. En pleine nuit, un train fantôme transportant 7,7 millions de tonnes de pétrole brut dévale la pente entre Nantes et Lac-Mégantic, où il déraille et met feu à un espace d’environ 2 km². Le bilan est lourd : 47 morts, 2000 évacuations et 1,5 milliard de dollars de dégâts immédiats.

Comment en est-on arrivé là? On apprendra plus tard que le cheminot aux commandes s’est inquiété de laisser son train sans surveillance, mais qu’il n’a que suivi les procédures de la compagnie privée qui l’employait. Celles-ci lui indiquaient d’ailleurs de stationner son convoi en haut d’une pente. Quiconque connaît le métier et la physique sait l’importante économie d’énergie ainsi générée au départ des machines.

On saura également que cette compagnie privée avait pour pratique de brader la sécurité au profit de la rentabilité puisque son taux d’accidents était entre 5 et 10 fois plus élevé que 800 entreprises états-uniennes. Elle était aux mains d’un requin international de la privatisation du rail et qui se spécialisait dans la mise sous tutelle d’entreprises avec des difficultés financières.

Plus troublant encore, la Caisse de dépôt et de placements du Québec a misé 7 millions de dollars dans cette aventure financière.

Cette même compagnie (Montreal, Maine and Atlantic Railway) fait faillite le jour où on lui demande de payer 8 millions de dollars pour le nettoyage du secteur sinistré.

Il ne faut pas chercher plus loin : l’accident de Lac Mégantic est le résultat d’un système ferroviaire géré par le privé où la sécurité – donc la vie des gens – n’est qu’une donnée comptable pesante dans la colonne des pertes.

***

Le 1er mars dernier, une soixantaine de personnes périssent dans une collision ferroviaire en Grèce, à Tempe. La plupart des victimes sont des jeunes et des étudiant-es. Là aussi, la privatisation du rail est en cause. Le gouvernement grec fait tout pour blâmer un pauvre chef de gare qui n’a eu que quelques heures de formation et s’est trouvé seul en place, sans ressources.

Pourtant, les principaux criminels, ce sont les gouvernements successifs : PASOK, SYRIZA, Nouvelle Démocratie, etc. Tous ont donné dans le démantèlement du monopole public du rail et l’ont livré sur plateau d’argent aux rapaces que sont la DB, SNCF, Ferrovie, etc. Tous se font compétition, tout en se possédant les uns les autres. Tous reçoivent des subsides de l’État qui, au final, orchestre cette privatisation dans un seul but : accroitre les profits des monopoles, casser les statuts conquis par les cheminots et casser le concept de service public du rail.

Ce sont les travailleur-euses, les passagers, et le peuple en général (puisque la privatisation coute plus cher et de loin qu’un monopole public) qui écopent. Ils payent parfois même de leur vie cette logique du profit.

Comme l’affirme Matthieu Bolle-Redat, membre du Secrétariat de la Fédération syndicale mondiale : « Ce sont leurs profits, mais nos morts. Eux, ce sont bien sûr les aristocrates du rail, mais ce sont également les gouvernements sans qui la privatisation n’aurait jamais pu avoir lieu. C’est aussi l’Union européenne du capital dont le troisième paquet ferroviaire représente le dernier tour de roue dans la mise en compétition forcée des compagnies privées comme nationales. »

« Ici comme ailleurs, incluant chez vous au Canada poursuit-il, la seule solution est de s’assurer que le rail comme le reste des services publics soient extraits de la logique du profit et s’intègre à celle du service public. Pour ça, il faut un monopole public sur le rail comme sur l’ensemble des services publics. Les compagnies privées n’ont que faire des services. Elles n’ont que leurs tapis à vendre au plus offrant. Si la mort se met entre elles et le profit de leurs actionnaires, elles n’en n’ont rien à foutre. »

Effectivement, on l’a vu à Lac Mégantic comme à Tempe : les profits capitalistes se construisent sur nos morts. Aujourd’hui, nos gouvernements parlent d’une voie de contournement à Lac Mégantic. Ils débattent également de la profitabilité d’un TGV entre Québec et Toronto au profit d’entreprises privées sollicitées…

Combien de morts faudra-t-il compter avant qu’enfin on extraie de la logique du marché le transport public? Le but du rail n’est-il pas de transporter des vivants et non des cadavres?