Le mouvement de la paix, entre logique de lobbying et rapport de force
Le mouvement de la paix, entre logique de lobbying et rapport de force
Jad Kabbanji
Mouvement québécois pur la Paix
https://www.facebook.com/MQP.QMP/
Clarté #51 – Mai 2023
Le 18 mars dernier, se réunissent des représentants de centaines d’organisations et de partis politiques des États-Unis à l’appel de la coalition Act Now to Stop War and end Racism (ANSWER). En effet, il y a vingt ans, les États-Unis et leurs alliés envahissent l’Irak. Il s’agit pour cette coalition de marquer ce triste anniversaire et de s’opposer à l’escalade militaire actuelle des États-Unis et de leurs alliés occidentaux en Ukraine sous le slogan « Financer les besoins des gens, pas la machine de guerre ! ».
Plusieurs centaines d’organisations de gauche actives de près ou de loin dans le mouvement de la paix aux États-Unis ont appuyé cette marche et nous pouvions donc nous attendre à plusieurs dizaines de milliers de participant.es. Or, il n’en est rien ! À peine un peu plus de 2 000 manifestant.es ont foulé le pavé de la capitale fédérale, Washington (D.C.). Deux principales raisons expliquent cette faible participation alors que nous sommes plus que jamais proches d’une guerre directe entre grandes puissances : d’une part, la frénésie des réseaux sociaux et d’autre part, la multiplication des groupes luttant chacun dans son coin.
L’alternative virtuelle et en silo ?
Depuis maintenant plus de dix ans, la guerre de l’information s’est largement déplacée sur le terrain virtuel, plus précisément sur les réseaux sociaux. Si les réseaux sociaux ont bel et bien accompagné et parfois même décrit de manière plus précise la réalité sur le terrain, la contre-propagande sur les réseaux sociaux n’a jamais pu remplacer l’action et l’organisation dans la vie réelle. Au mieux, l’action sur les réseaux accompagne un mouvement social, mais elle ne va jamais le remplacer. S’esquisse alors la première grave erreur de certains mouvements qui prétendent lutter pour la paix, mais qui, finalement, se retrouvent à effectuer un travail de journalisme et d’information en ne s’adressant qu’à un public déjà conquis. Ces activistes finissent, bon gré mal gré, à confondre le nombre de « j’aime », de « partage » et de « vue » avec une adhésion à leurs idées dans la vie réelle. Mais, rien n’est plus faux. Nous savons maintenant que les réseaux ont des dynamiques propres à eux qui s’opèrent uniquement dans le monde virtuel. C’est ce qui peut expliquer le peu d’engouement pour la manifestation nationale de la coalition Answer alors que cette dernière a eu un soutien très large sur les réseaux.
Par ailleurs, il y a aujourd’hui une surabondance de groupes, de mouvements, de partis qui prétendent s’intéresser et militer pour la paix. Rappelons ainsi que, selon certaines sources, il y a eu plus de 400 organisations qui ont soutenu cet appel à manifester. Si nous divisons le nombre des organisations qui ont soutenu l’événement par le chiffre de 2500 manifestants présents à la journée du 18 mars, avancé par l’un des groupes participants, l’UNAC, nous arrivons au chiffre dérisoire de six personnes par organisation. Est-ce acceptable ? Ne sommes-nous pas dans un entre-soi confortable où chacun et chacune protègent jalousement sa chasse gardée ? Et où l’intérêt personnel est supérieur à l’intérêt collectif ? Certainement…
La droite en embuscade
Face à une gauche qui est devenue dérisoire numériquement et dont les préoccupations principales s’articulent autour des « politiques d’identités », la droite guette et s’arme. Il n’est pas nouveau que l’extrême droite s’intéresse aux questions de paix. Rappelons qu’elle se posait volontiers durant les années 1930 comme étant la principale force de paix en Europe pour en réalité accompagner le réarmement de l’Allemagne nazie. Nous savons comment cette droite a fini par embrasser la guerre durant le second conflit mondial et bien vite par oublier son pacifisme de jadis. Aujourd’hui, elle sait que la confusion est grande et que l’amnésie est quasi généralisée. Donc, rebelote, elle tente de nouveau de s’immiscer dans le débat pour la paix en organisant ses propres manifestations.
Pour autant, le rassemblement organisé par Rage Against the War Machine, une nébuleuse regroupant en grande majorité des partis et des organisations de la droite populiste américaine, fut tout autant sinon plus un échec retentissant. Le 19 février dernier, à peine un millier de personnes se sont rassemblées pour marquer le un an de la guerre en Ukraine, alors même que cet événement a reçu une couverture médiatique bien plus large que les simples réseaux sociaux, allant jusqu’à être cité sur la fameuse chaîne télévisée de cette droite américaine, Fox News.
Un monde du travail à reconquérir
Au Canada et au Québec, ces dynamiques du mouvement de la paix venues des États-Unis prévalent également et il est impératif de reconnecter ce mouvement au monde du travail, plus particulièrement à l’action syndicale. Certes, c’est un travail ingrat et de longue haleine dont les résultats ne se feront pas ressentir à court terme. Mais nous savons, grâce à l’histoire, que cela fonctionne. Lorsqu’il est connecté aux masses, le mouvement de la paix est vivant, dynamique et efficace. En somme, il a du poids.
Enfin, la connexion avec les syndicats permettra de s’extirper petit à petit de la logique de lobbying et du droit d’ingérence déguisé en « responsabilité de protéger » (R2P), chère aux ONG et à une partie de la gauche, et d’offrir une réelle perspective politique. Cette perspective n’est possible qu’en créant un rapport de force dans le cadre du monde du travail qu’il faut s’atteler à bâtir le plus rapidement possible.