Droit de grève : les Libéraux choisissent leur camp
Droit de grève : les Libéraux choisissent leur camp
Manuel Johnson
Clarté – Novembre 2024

Le droit de grève est limité et encadré au Canada. Notamment, il est interdit par la loi de faire la grève pour des motifs politiques, ce qui prive le mouvement ouvrier d’un levier important pour faire avancer les intérêts de la classe ouvrière. Cela étant dit, les grèves concernant les négociations de convention collectives et les conditions de travail demeurent un outil essentiel pour établir un rapport de force vis-à-vis les patrons. Or, historiquement, les gouvernements alliés aux monopoles ont eu recours aux lois spéciales pour mettre fin aux grèves et faire pencher la balance en faveur des employeurs.
En 2015, la Cour suprême du Canada, dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, a confirmé que le droit de grève est un élément indispensable du processus de négociation collective. En effet, pour la Cour suprême, la liberté d’association garantie par l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés protège aussi le droit de grève.
Donc, toute loi qui limite le droit de grève pourrait être contestée comme une violation des droits fondamentaux protégés par la Charte.
Pourtant, le fait que les tribunaux pourraient juger des lois qui forcent le retour au travail inconstitutionnelles n’empêche pas forcément le recours à celles-ci. Le problème pour les travailleurs est que le processus de contestation est long, couteux et démobilisant. À quoi bon dresser le constat après les faits? Une fois le retour au travail forcé, la grève se termine et les travailleurs doivent négocier sans le levier de la grève. Le mal est donc déjà fait, même si les tribunaux déclarent la loi inopérante parfois des années plus tard…
Politiquement, par contre, il peut être délicat pour un gouvernement d’avoir recours continuellement à des lois qui sont ensuite déclarées inconstitutionnelles. Par exemple, depuis 2009, le gouvernement fédéral a eu recours à trois reprises à des lois spéciales (ou des menaces de lois spéciales) pour forcer le retour au travail des employés fédéraux. En 2018 par exemple, il a mis fin à la grève des travailleurs des postes. Il refait le même coup aux débardeurs du Port de Montréal en 2021.
Pourtant, il ne manque pas de ressources légales pour arriver à ses fins sans risquer de devoir se rétracter a posteriori. Parmi ceux-ci, trône en maitre le recours à l’article 107 du Code du travail fédéral qui permet au gouvernement d’imposer un retour au travail moyennant un arbitrage exécutoire. D’autre part, on peut également souligner l’instrumentalisation de la loi sur les services essentiels pour restreindre le droit de grève.
Par exemple, en mai dernier, le gouvernement fédéral est intervenu pour tenter d’empêcher une grève par les travailleurs des chemins de fer. En effet, le ministre de travail d’alors Seamus O’Reagan a utilisé ses pouvoirs accordés par la loi pour demander au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) de déterminer si les chemins de fer constituaient un « service essentiel », ce qui aurait obligé une portion de travailleurs de rester au travail en cas de grève pour maintenir l’opération des trains. Avant de déclencher une grève, le syndicat a donc dû attendre la décision du CCRI. La décision du CCRI était à l’effet que les chemins de fer ne sont pas un service essentiel, mais, le délai causé par le délibéré a donné du temps au gouvernement pour explorer d’autres stratégies pour aider les employeurs.
Par la suite, le ministre O’Regan a demandé au CCRI d’imposer de « l’arbitrage contraignant » sur les parties, quelques heures seulement après le déclenchement d’abord d’un lock-out de la partie patronale auquel les Teamsters ont répliqué par une grève des chemins de fer le 22 août 2024. Cette manœuvre a fait en sorte que la grève soit suspendue pendant la durée de l’arbitrage, et a réduit le pouvoir de négociation du syndicat, qui doit accepter la décision de l’arbitre pour la nouvelle convention collective, plutôt que la négocier librement. Mais de façon encore plus grave, le patronat et le gouvernement ont foré une équipe de choc, car le but du lock-out était, dès le départ, d’impliquer le gouvernement le plus rapidement possible, soit après
Encore une fois, le syndicat conteste la légalité de cette imposition. Mais entre temps, le mal est fait et l’objectif recherché par les employeurs – l’affaiblissement du rapport de force des travailleurs – est atteint.
En effet, dans les deux cas, il ne s’agit pas, du moins théoriquement, de bloquer les négociations, mas d’amoindrir le rapport de forces et d’annuler tout impact négatif pour la partie patronale. Pourtant, lorsqu’il s’agit d’un lock-out comme au Port de Québec, l’État se garde bien d’intervenir même si les impacts économiques se font sentir sur des centaines de débardeurs depuis plus de deux ans…
Ce simple constat mérite réflexion. Il nous prouve que l’adage dura lex sed lex ne s’applique pas de façon universelle, mais est également transcendé par la lutte des classes. En fait, toute avancée en matière de droit du travail n’a jamais été le produit de faits de jurisprudence ni de largesses du Législateur, mais bien des luttes ouvrières et du rapport de forces capables d’imposer des reculs au patronat.