Amazon n’a rien inventé
Amazon n’a rien inventé
Adrien Welsh
Clarté – Novembre 2024

Avez-vous vu le film Le cave se rebiffe mettant en scène un Jean Gabin vieillissant dans le rôle d’un vieux truand considéré « hors coup » par ses collaborateurs? Si oui, vous vous rappellerez certainement cette scène où ce protagoniste met sous pli une liasse de billets affirmant que la Poste constitue une institution infaillible.
Effectivement, dans les années 1970, que ce soit en France ou ailleurs, ici même au Canada, la Poste représentait la quintessence du service public. Dans certains cas, en plus de simplement livrer le courrier, sa mission sociale allait jusqu’à transporter des médecins, créer des banques, fournir des services de télécommunications, etc.
Pour le dire autrement, tout ce qu’accomplissent les GAFAM aujourd’hui, la Poste s’en occupait. Que s’est-il passé entre temps?
La ligne officielle, c’est que l’arrivée d’internet a tout changé, ouvrant la porte à un commerce électronique. Pourtant, le Minitel français, produit des PTT (Postes, télégraphes et téléphones), préexiste l’invention d’internet. Les achats par correspondance ne datent pas d’hier. Tous pouvaient, par catalogue, commander les produits désirés, puis les recevoir rapidement grâce aux services postaux.
Si on avait laissé la poste se développer en corrélation avec les innovations technologiques plutôt que de l’en aliéner, la situation serait différente. Au cours des dernières décennies, particulièrement depuis les années 1990, des pans entiers des prérogatives des activités postales ont été laissées en jachère. Chez Postes Canada, le plus représentatif d’entre eux demeure la fin de la livraison à domicile pour des milliers de citoyens.
Pour autant, les services ainsi laissés en rade doivent être comblés autrement. C’est ainsi que des entreprises privées se jettent dans la bataille. Purolator, UPS, DHL et autres dans un premier temps. Aujourd’hui, c’est Amazon qui rafle la mise.
Or, il n’y a rien qu’Amazon puisse faire sans appui du public. À Terre-Neuve, c’est Postes Canada qui joue l’entremetteur et livre les paquets commandés en ligne : ouvrir un centre de tri sur place serait trop coûteux pour l’entreprise de Jeff Bezos! Il en est de même pour différents villages et villes reculés. Encore une fois, il ne s’agit pas de privatiser, mais de socialiser les pertes et de privatiser les profits.
De façon concertée entre la partie patronale et les pouvoirs publics, l’objectif final se résume à réduire Postes Canada à un service d’appoint aux monopoles privés qui se saisiront des activités lucratives tandis que le service public devra composer avec des pertes orchestrées. Pour y parvenir, il faut néanmoins casser les conditions de travail, les salaires et pensions de retraite des employés des postes : qui irait travailler dans le privé si les services publics offrent de meilleurs emplois?
Postes Canada occulte le demi-milliard de dollars investis dans le capital mort et s’en sert pour faire chanter les salariés. À Toronto, les investissements immobiliers jouxtent ceux d’Amazon. Difficile de rivaliser en arlequinerie et pantalonnade! Au final, ces investissements devenus perte par la magie des mots finiront en braderie sur plateau d’argent pour les monopoles privés.
Ainsi, les travailleurs des postes faisaient grève non seulement pour leurs salaires, pensions de retraite et conditions de travail. Ils luttent continuellement pour le maintien d’un service public postal viable et durable capable entre autres d’appuyer les petites et moyennes entreprises. Contrairement au chantage médiatique actuel, ce n’est pas la grève qui en a plombé les activités des petites entreprises, mais le spectre d’une privatisation qui, on l’a vu à maintes reprises, finira par leur imposer des frais prohibitifs dans le but de monopoliser l’économie et contribuer à la faillite des petites entreprises.
Aujourd’hui, une loi scélérate les force à retourner au travail, minant ainsi leur rapport de forces devant un employeur tout-puissant de mèche avec le gouvernement. Leur objectif est clair : il ne s’agit pas seulement d’en finir avec le service public postal, mais aussi d’en finir avec les conditions de travail de ses employés pour mieux le privatiser…
Amazon n’a rien inventé, mais tout volé du service public… et en sus, les monopoles brisent le syndicat qui a permis aux femmes d’obtenir un congé de maternité payé dans le Code du travail fédéral.