José Saramago, d’ajusteur-mécanicien à prix Nobel de littérature

José Saramago, d’ajusteur-mécanicien à prix Nobel de littérature


Normand Raymond – Le poing artistique
redaction@journalclarte.ca
Clarté #51 – Mai 2023


« Un bon roman doit être une hache capable de briser la mer glacée de notre conscience. » – José Saramago

Récipiendaire du prix Camões en 1995 et reconnu comme l’un des plus grands écrivains de la littérature portugaise et universelle, José Saramago demeure à ce jour le seul auteur lusophone à avoir reçu le prix Nobel de littérature en 1998. Fervent militant communiste de 1969 jusqu’à la fin de sa vie en 2010, il n’abandonnera jamais ses convictions politiques et idéologiques, ni ne cachera son allégeance au Parti communiste portugais au profit de sa carrière d’écrivain. C’est ainsi qu’il déclarera avec une fierté indéfectible : « Aujourd’hui, avec ce prix, je peux dire que je n’ai jamais eu à cesser d’être communiste pour l’obtenir. »

Saramago nait en 1922 à Azinhaga, un petit village du Ribatejo situé à une centaine de kilomètres au nord-est de Lisbonne, en plein cœur du Portugal. Fils de paysans pauvres, il doit quitter ses études secondaires très tôt par nécessité économique, pour suivre une formation professionnelle en ajustage mécanique et commencer à travailler dans le domaine de la réparation automobile. Il exercera par la suite des métiers aussi divers que dessinateur industriel et agent administratif, avant de se lancer en autodidacte comme éditeur, traducteur, journaliste et critique littéraire, pour enfin, passionné par les livres, se consacrer définitivement à l’écriture.

Une œuvre littéraire empreinte d’un profond humanisme

Pour cet auteur qui a notamment traduit Tolstoï, Hegel, Baudelaire et Maupassant, entre autres, rien de ce qui est humain n’échappe à son processus de création littéraire. Mieux connu pour son œuvre romanesque de fiction, Saramago a également écrit des contes, des nouvelles, de la poésie, des pièces de théâtre et des essais, qui totalisent plus de 40 titres. En outre, certaines de ses œuvres se sont vues adaptées pour le cinéma et ont même inspiré trois opéras et trois cantates du compositeur et musicologue italien Azio Corghi, en collaboration avec Saramago.

Bien qu’on y trouve toujours une intention politique dans ses romans, visant à réparer des injustices sociales, il se défend bien d’écrire des romans historiques. Mu par la force poétique du langage et de l’imaginaire, s’appuyant souvent sur l’impossible, il préfère mêler fable, mythe, fantaisie et reportage n’hésitant pas à user de l’allégorie et de la satire, pour en faire de réelles métaphores pouvant se lire comme des paraboles, où s’affrontent constamment des David et des Goliath. Ce qui lui attirera en 1991 les foudres des milieux catholiques au Portugal et même du Vatican, ainsi que la censure du gouvernement portugais, peu après la parution de son roman L’Évangile selon Jésus Christ. Sur quoi, en geste de protestation, il décidera en février 1993 de s’exiler avec sa femme, la journaliste et traductrice Pilar del Río, sur l’ile espagnole de Lanzarote, dans les iles Canaries, d’où il continuera à écrire des histoires impossibles, qui résistent au conformisme, pour mettre hors la loi l’opposition politique et religieuse du conservatisme sur le socialisme.

Les traces de la Révolution des Œillets dans son œuvre

En 1947, il publie son premier roman intitulé Terre du péché (Terra do pecado), dédié à sa région natale. Puis, s’écoule une longue période d’incubation d’une vingtaine d’années pendant laquelle l’auteur confie n’avoir eu rien d’intéressant à raconter, si ce n’est qu’un second roman La Lucarne (Clarabóia), écrit en 1953 et retourné par l’éditeur, publié seulement après sa mort. En 1966, en 1970 et en 1975, paraitront également trois recueils de poèmes, marquant son retour à la littérature. Mais c’est à partir de Relevé de terre (Levantado do Chão), écrit en 1975 et paru en 1980, qu’il y entre véritablement de plein pied. Un roman qui, en plus de dénoncer le côté le plus sinistre du fascisme, à une époque de lutte pour la dignité des travailleurs agricoles, apporte à la littérature une écriture à la fois belle et engagée, combative, basée sur le contenu et l’objectif de son message et dans laquelle Saramago commence à affirmer un style expérimental caractérisé par une syntaxe sans trop de ponctuation ni pause, ne s’autorisant que des points et des virgules.

Homme d’idéaux et d’amour pour le peuple, profondément anticapitaliste et critique de la mondialisation, Saramago participe activement à la Révolution des Œillets en 1974 en tant que militant communiste, s’y engageant corps et âme, pour basculer avec tout un peuple de la dictature à la « démocratie ». Il a dit un jour, en parlant de son œuvre : « Je crois que rien ou presque de ce que j’ai fait après le 25 avril n’aurait pu être fait avant ». Ce n’est donc pas par hasard qu’il consacre, cinq ans après la fin du régime autoritaire de Salazar, sa première pièce de théâtre A noite (La Nuit) à la Révolution des Œillets.

Présentée en deux actes, cette pièce à fort contenu politique se déroule à l’aube de la Révolution des Œillets, dans la salle de rédaction d’un journal de Lisbonne qui soutient ouvertement le régime fasciste de Salazar. Alors que cette révolution se révèle être de gauche, deux journalistes de l’équipe de rédaction vont se rebeller contre la volonté des propriétaires du journal — en contact permanent avec les généraux de la censure pour en empêcher sa parution à tout prix —, et, grâce au soutien de deux typographes syndiqués de gauche qui leur tiennent tête, réussiront à faire paraitre la nouvelle de cette révolution qui entraine, le 25 avril 1974, la chute de la dictature salazariste qui dominait le Portugal depuis 1933.