PL-69 : Une invitation à l’impérialisme vert signée Hydro-Québec
PL-69 : Une invitation à l’impérialisme vert signée Hydro-Québec
Maxence Chouinard
Clarté – Février 2024

Le monopole public de la production et de la distribution de l’énergie au Québec, héritage caractéristique de la Révolution tranquille, a permis aux Québécois de s’approprier une partie de son potentiel hydroélectrique, et conséquemment de garantir des tarifs d’électricité relativement bas et uniformes sur son ensemble. Ce monopole a été et est toujours une source importante de revenus pour l’État québécois, essentielle au financement de nos infrastructures et services publics. Cependant, ce joyau collectif est constamment mis à mal, particulièrement l’introduction de mesures néolibérales par la bourgeoisie québécoise à partir de la fin du XXe siècle.
Le Plan d’action 2035 d’Hydro-Québec et le Projet de loi 69 (PL-69) présentant son cadre réglementaire s’inscrivent dans cette mouvance et signent, à moyen-terme, la fin du monopole public de l’énergie, au détriment de la majorité des Québécois.
Une explosion des tarifs au nom de « l’innovation »
Dans son Plan d’action 2035, Hydro-Québec prévoit investir massivement dans le réseau électrique afin d’offrir un service « fiable », à un coût « abordable ». Or derrière ces belles paroles se cache une réalité plus sinistre : les tarifs d’électricité vont exploser. Avec des investissements prévus jusqu’à 185 milliards de dollars en 11 ans (à contraster avec la valeur comptable actuelle d’Hydro-Québec qui s’élève à 95 milliards de dollars), représentant 15 milliards de dollars par année, au lieu des 4,5 milliards de dollars annuels aujourd’hui, les augmentations tarifaires seront inévitables. Le PL-69 prévoit d’ailleurs l’instauration de modulations tarifaires, mais François Legault nous « rassure » : les hausses tarifaires seront gelées à 3%. Pourtant, lorsqu’on considère le fait qu’actuellement au Québec, un ménage sur sept ne parvient pas à payer sa facture d’électricité, ou y parvient au détriment d’autres besoins, cette augmentation marginale au regard déconnecté de la réalité du terrain du premier ministre est loin de l’être pour une proportion importante de la population. Non seulement cette hausse entraînera-t-elle davantage de précarité financière, mais elle sera aussi complètement insuffisante pour rembourser les coûts investis. En effet, rapportés sur 11 ans, les investissements prévus ne pourront être comblés qu’avec une augmentation cumulative des tarifs de l’ordre de 75%, soit environ 6% par année. Mais M. Legault nous « rassure » de nouveau : il ouvrira un fonds d’aide pour combler cet écart qui sera payé par… les contribuables (lire ici les masses laborieuses déjà mises à mal, car les grandes entreprises échappent trop souvent à l’imposition juste de leurs profits)!
L’absurdité du projet est d’autant plus apparente que ces sommes investies serviraient à la production nouvelle de 56 TWh d’électricité en une décennie, alors que lors des deux dernières décennies, soit de 2003 à 2023, la consommation québécoise en énergie n’a augmenté que de 13 TWh, soit huit fois moins.
Une transition énergétique en mots, pas en actes
Dans les faits, une telle augmentation de la production n’est pas a priori problématique dans la mesure où cette énergie verte viendrait remplacer des énergies fossiles. C’est d’ailleurs ce que prévoit supposément le Plan d’action 2035 : 75% de la production nouvelle servirait à décarboner et 25% servirait au développement économique. Néanmoins, il est quelque peu déconcertant de constater que le PL-69 ne contient aucune mesure, aucun objectif, aucun échéancier, bref, absolument rien qui puisse permettre de faire progresser une quelconque décarbonation. Il est donc clair que l’objectif réel de ce projet de loi n’est pas la réduction de la dépendance aux énergies fossiles.
Avec l’effondrement de la rentabilité et la montée en puissance de la Chine, les industriels occidentaux, avec en tête de file les États-Unis, cherchent à tout prix à combler le manque à gagner provoqué par l’envenimement des relations avec la Chine.
Ces industriels misent donc sur un retour de la production en leur territoire et financent massivement les filières énergivores des batteries, des véhicules électriques et de l’hydrogène vert, entre autres. Le Québec devient pour eux, à l’image des années 1950, une réserve illimitée de ressources pillables à bas prix, qui seront transformées en produits à valeur hautement ajoutée, puis revendus à prix déraisonnables au Québec. L’impérialisme vert, Hydro-Québec veut s’en faire un pilier en devenant le « Dollarama de l’énergie ».
Adieu au monopole public de l’électricité
Avec le PL-69, Hydro-Québec met en scène son nouveau modèle de partenariat financier, le partenariat public-privé, largement inspiré du modèle d’affaires utilisé par le privé via l’Association québécoise de la production d’énergie renouvelable (AQPER) depuis 25 ans. Ce modèle favorise le morcellement de la propriété et de l’exploitation énergétique dans l’espace public, réduisant aussitôt le contrôle gouvernemental de ces ressources et privant l’État d’une partie importante des revenus générés, alors même que le gouvernement « pleure » constamment le manque de moyens pour financer le filet social.
L’ex-ministre Pierre Fitzgibbon ne cache pratiquement pas sa volonté de privatiser Hydro-Québec lorsqu’il annonce qu’Hydro-Québec se « focalisera sur les gros projets », en laissant le contrôle des petites et moyennes centrales aux autres (entendez par là le privé). Le PL-69 permettra effectivement aux producteurs privés d’électricité d’augmenter leur production de 50 à 100 MW. À cela s’ajoute le fait qu’Hydro-Québec pourra offrir des droits de harnachements additionnels ou alors céder des centrales sous-exploitées (un précédent existe déjà), et la quantité d’énergie produite par et pour le privé pourrait rapidement grimper.
Pour ajouter l’insulte à l’injure, le PL-69 permettra aussi aux compagnies privées de distribuer leurs surplus d’électricité à des clients privés situés à proximité de leur lieu de production. De cette manière, un réseau de production et de distribution d’énergie parallèle privé pourra s’encastrer autour du « monopole » public de plus en plus affaibli. Cette dynamique entraînera alors de la compétitivité et une dynamique de marché qui fera fluctuer les prix de l’énergie à la hausse, ce qui viendra une fois de plus générer d’énormes profits aux grandes compagnies en sapant les économies des masses laborieuses…
Notons d’ailleurs que cette manière de fonctionner permettra aux industriels privés d’éviter de participer au financement massif de projets publics, mais aussi d’éviter de financer en partie leurs propres projets d’expansion, qui ne serviront que leurs propres besoins. Les profits, bien sûr, ils se les accaparent dans leur entièreté. Ultimement, tout cela accélèrera et concrétisera la privatisation à venir de la production énergétique. La perte sera socialisée, mais les profits seront privatisés.
Conclusion
Advenant l’adoption du PL-69, il signerait l’arrêt de mort du contrôle social d’une des plus grandes richesses collectives québécoises. Il signerait décisivement la privatisation d’Hydro-Québec, ce qui engendrerait une explosion des tarifs en électricité, une perte de revenu pour l’État québécois (lire ici un sous-financement encore plus marqué des services publics), une destruction de l’environnement, une plus grande dépendance envers les capitaux étrangers et tout cela, au coût des masses laborieuses québécoises.