Bonance à la FTQ Construction : rien de nouveau sous le soleil
Bonance à la FTQ Construction : rien de nouveau sous le soleil
Adrien Welsh
Clarté – Février 2024

Récemment, des informations fuitées dans le Journal de Montréal révélaient que des pontes de la FTQ Construction, principal syndicat du milieu, auraient fait bonne chair arrosée copieusement des meilleurs fruits de Bacchus, le tout payé par les cotisations des membres, va sans dire. Dans certains cas, la douloureuse est montée jusqu’à 33 000$ en un mois.
Cette incartade n’est pas la première au sein de ce syndicat qui semble les cumuler. On se rappelle les troublantes révélations de la Commission Charbonneau notamment autour de connivences entre le Président de la FTQ Construction et des contracteurs mafieux dont Tony Accurso. Il y a cinq ans, le Directeur général de la Fédération, Jocelyn Dupuis, était condamné à 12 mois de prison pour fraude et production de fausses factures…
S’il est vrai que cette sortie à quelques semaines de l’échéance des Conventions collectives dans le milieu de la construction peut semer quelques doutes, ce n’est pas pour autant que les ouvriers du bâtiment doivent avaler de telles couleuvres. Pour tout travailleur le moindrement conscient, piquer dans la caisse, dilapider les fonds du syndicat constituent des crimes aussi ignobles que franchir un piquet de grève. Jamais un ouvrier ne devrait accepter de ses dirigeants syndicaux la perfide rapine. Au contraire, il doit exiger d’eux la plus haute exemplarité dans la lutte. Le travail syndical n’a pas vocation à être un ascenseur social, certainement pas un moyen de se hisser au-dessus des masses laborieuses.
À ce sujet, Ken Pereira, ancien de la FTQ Construction, qui avait courageusement sonné le tocsin contre les pratiques douteuses du syndicat, rappelle un élément important en soulignant sur les ondes de QUB radio : «Je veux dire quelque chose qui fait mal à entendre: on a énormément de syndiqués au Québec. On n’a pas beaucoup de syndicalistes. C’est un gros problème. C’est qu’on utilise le mouvement syndical pour améliorer notre sort. Il y a de hauts dirigeants et des directeurs qui sont là pour la seule raison d’avancer leur jeu».
Le point qu’il touche s’applique particulièrement au milieu de la construction où règne une double porosité.
L’une est séculaire et s’articule autour du corporatisme qui entretient un flou entre le travailleur, le maitre de jurande et le patron. Plutôt qu’un salarié, le travailleur est perçu comme artisan qui, plutôt que de se lier à un employeur, devient une forme de métayer.
L’autre est liée au secteur de la construction du Québec qui implique le monde interlope. La structure du secteur basée à la fois sur un nombre incalculable de contracteurs et sur des projets spéculatifs est propice au blanchiment d’argent et aux pratiques douteuses qui s’en suivent.
Il n’est ainsi pas étonnant que la lutte entre le syndicalisme de classe et le syndicalisme affairiste soit aussi prégnante dans le monde de la construction.
Néanmoins, les propos de Pereira ratissent plus large. Ils s’appliquent au mouvement syndical québécois dans son ensemble.
Ce n’est pas d’hier que le patronat cherche à pervertir les consciences ouvrières par la carotte ou le bâton. La trique interlope a été utilisée abondamment dans les années d’après-guerre pour casser le consensus ouvrier qui espérait une Fédération syndicale mondiale (FSM) unique.
C’est ainsi qu’à coups de ratonnades et de pistolets, les impérialistes ont soutenu la création d’une Confédération internationale des syndicats libres (CISL). Contrairement à la FSM, cette centrale n’était libre que des travailleurs et de la lutte des classes, mais sujette des monopoles : elle appuyait le colonialisme, l’impérialisme, le plan Marshall, l’OTAN, etc. Elle a fait sien le dogme de la collaboration entre le capital et le travail.
Mais au bâton s’ajoute la carotte. Des chefs syndicaux ont été littéralement achetés pour se ranger du côté de l’aristocratie ouvrière et abandonner la lutte des classes au profit du dialogue social. Par exemple, la rémunération annuelle de Harrison, Secrétaire de la Fédération des cheminots de l’AFL-CIO (États-Unis) s’élevait à 76 000 en 1952. Cette même année, le salaire annuel moyen n’atteignait à peine 1 450$…
Ce genre de corruption enkyste l’histoire de la CISL, puis sa suite lorsqu’elle fusionne avec les Syndicats catholiques en 2006 pour former la Confédération syndicale internationale (CSI). À tous les échelons et à degrés divers, ce genre de politique des pots-de-vin, de dilapidation et de gabegie sont monnaie courante.
On se rappelle notamment les scandales entourant Hassan Yussuf entachant son mandat à la tête d’Unifor, ce qui l’a forcé à démissionner. Au plus haut niveau, le Secrétaire général de la CSI a été pincé pour fraude et son appui aux islamo-fascistes qataris pour permettre la tenue de la coupe du monde de football…
La classe ouvrière mérite mieux.
En ce sens, les travailleurs de la construction, ceux-là mêmes qui ont fait de Michel Chartrand un syndicaliste hors-pair, sont aujourd’hui appelés à s’attaquer par tous les moyens à leurs patrons et au patronat coalisé qui se satisfait de la situation actuelle où l’on construit pour spéculer et non pour loger.
Malheureusement, ils doivent faire double-emploi et lutter avec la même ténacité contre les représentants patronaux qui écument nos syndicats. Bien que cette situation ne soit pas propre au secteur de la construction, il reste que la loi qui le régit exacerbe cette dynamique. On ne s’étonnera pas du fait que sa révision actuelle cherche non seulement à renforcer la flexibilité d’emploi, mais aussi à renforcer le corporatisme pratiquement moyenâgeux du domaine.
Ainsi, tout est mis en branle pour que le monde de la construction, syndicats compris, mangent dans la main du patronat alors qu’il s’agit de l’un des secteurs névralgiques de l’économie québécoise.
Espérons que la réalité socio-économique rattrape les bonzes interlopes syndicaux corporatistes et que la prochaine négociation se fasse au nom de la classe ouvrière tout entière et non des corporations de métiers.