Gilets jaunes contre gilets rouges : la bataille des retraites sera-t-elle le Waterloo de Macron?

Gilets jaunes contre gilets rouges : la bataille des retraites sera-t-elle le Waterloo de Macron?


Adrien Welsh
redaction@journalclarte.ca
Clarté #50 – Mars 2023


À l’automne 2018, le mouvement des Gilets jaunes faisait irruption en France pour protester contre l’instauration de la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Les plus confus ont suivi les médias et leur présentation de la situation comme si celle-ci était pré-insurrectionnelle. Les plus lucides y ont vu une jacquerie désorganisée, faussement spontanée et adoubée par certains secteurs du patronat qui préfère ce genre de manifestations les samedis sur les ronds-points aux grèves nationales chapeautées par les syndicats…

L’histoire a clairement donné raison aux sceptiques vis-à-vis des Gilets jaunes. Alors qu’au mieux, ces derniers mobilisaient dans les centaines de milliers de personnes (principalement la petite-bourgeoisie), l’appel à la grève générale nationale par l’ensemble des syndicats du pays (une première depuis plus de 10 ans) a été suivi par plus de 2 millions de personnes le 19 janvier dernier. On parle de 400 000 grévistes et manifestant-es à Paris, mais aussi d’environ 70% de grévistes dans l’éducation nationale, les transports et l’énergie entre autres. Chez Esso – ExxonMobil, la production a été arrêtée à cause d’un taux de grévistes de 100% au dépôt de Fos-sur-Mer (Marseille). Par ailleurs, 68% des Français-es se disent en désaccord avec cette réforme qui reculerait l’âge de départ en retraite de 62 à 64 ans.

Pour Macron, cette réforme est primordiale. Il en avait préparé une autre mouture en 2019-2020 à laquelle les syndicats avaient riposté avec verve. Or, la COVID et les confinements ont mis fin et à la réforme, et à son opposition, du moins temporairement.

Aujourd’hui, il semble clair que Macron fasse de cette réforme une pierre angulaire de son quinquennat. Son but n’a rien à voir avec une tentative de pérenniser le système de retraites par redistribution conquis par le Conseil national de la résistance dans sa lutte contre le nazi-fascisme. Au contraire, il s’agit de poursuivre dans les différentes tentatives de le laminer comme l’a fait Sarkozy en 2011.

Lors de ses vœux de 2023, le Président n’y est pas allé par 4 chemins : cette année sera celle de la réforme des retraites. Il a ajouté qu’augmenter l’âge du départ en retraite était le moins pire des choix, les deux autres étant alourdir les charges sociales ou augmenter les cotisations.

Or, le problème n’a rien à voir avec le financement, et pour cause! Cette année, le gouvernement français annonce augmenter les dépenses militaires de 30% pour atteindre les 400 milliards d’euros, tandis que le CAC 40 annonce des bénéfices de 80 milliards d’euros. Pendant ce temps, les exonérations fiscales directes pour le patronat s’élèvent à 75 milliards – et on peut ajouter au moins 10 milliards avec les niches fiscales et autres subventions patronales.

Au-delà des chiffres, cette mobilisation historique a le potentiel de s’attaquer au projet politique même de Macron, soit celui de renforcer la mise en compétition des travailleur-euses d’Europe. La bataille des retraites, salaires, voire celle de la défense et l’expansion de nos services publics est la même : il s’agit d’une lutte contre les directives de privatisation et de mise en commun (donc en concurrence) des ressources du Marché commun (donc y compris de la force de travail).

En 2010, deux semaines de grèves sectorielles ou perlées n’avaient pas eu raison de Sarkozy et sa réforme des retraites. Aujourd’hui, les conditions sont différentes. Les grèves sectorielles ont eu lieu à l’automne, préparant les travailleur-euses à la lutte actuelle. La situation est encore plus tendue au niveau socio-économique avec l’inflation galopante tandis que la marge de manœuvre de la bourgeoisie fond comme neige au soleil dans sa confrontation avec les puissances émergentes.
La combativité des syndicats n’est pas à prouver, surtout lorsque comparée à celle des Gilets jaunes. Alors que Macron aurait voulu que la riposte se résume à cette jacquerie manipulable de 2018 – 2019, aujourd’hui, les gilets rouges, ceux des syndicats, rappellent leur supériorité, celle de la classe ouvrière organisée devant la spontanéité qui n’attire qu’une petite-bourgeoisie foncièrement réactionnaire.

La question qui demeure cependant, ce n’est pas de savoir si les travailleur-euses sont prêts à en découdre avec Macron et ses projets économiques comme politiques. Les chiffres le prouvent : ils le sont. La question est de savoir comment cette riposte populaire se traduira politiquement.

En l’absence d’une force politique ouvrière organisée, ce ne serait pas la première fois qu’un soulèvement populaire, si organisé qu’il puisse être, finisse par tomber dans les bras de la réaction. La France en a d’ailleurs payé les frais en 1852…