Gaza au cœur d’un monde en profonde mutation

Gaza au cœur d’un monde en profonde mutation


Jad Kabbanji

Mouvement québécois pour la Paix
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Clarté #54 – Novembre 2023


Le 7 octobre dernier, l’une des phases les plus meurtrières de la guerre menée par les forces d’occupation israéliennes contre le peuple palestinien a débuté. Cette escalade a été déclenchée en réponse à une attaque foudroyante du Hamas qui, pour la première fois, a brièvement occupé des territoires frontaliers israéliens de la bande de Gaza, provoquant ainsi la désorganisation de l’appareil sécuritaire israélien et infligeant des pertes humaines et matérielles, touchant aussi les populations civiles. Cet épisode a mis en marche la machine destructrice israélienne. Une machine qui depuis lors s’acharne de manière génocidaire sur une enclave, grande comme l’Ile de Montréal, coupée du reste du monde.

Depuis des décennies, l’armée israélienne est connue pour semer la mort et la désolation sur son passage. Ses actions ne sont donc pas surprenantes pour ceux qui vivent dans la région ou qui suivent l’évolution des événements depuis 80 ans. Ce qui est nouveau, c’est l’échec complet du renseignement israélien, largement reconnu comme l’un des plus performants au monde, notamment dans la région. Comment le Mossad n’a-t-il pas pu prévoir une attaque d’une telle ampleur ? Pourtant, l’offensive imminente du Hamas avait été signalée à Israël par les services de renseignement égyptiens quelques jours avant le 7 octobre. Cette information a été relayée par les médias israéliens, mais elle semble avoir été largement oubliée depuis. Les troubles internes généralisés dans le pays, qui sapent le pouvoir de Netanyahou depuis plusieurs années, ont sans aucun doute eu un impact structurel sur le fonctionnement de l’appareil de sécurité. Par conséquent, ce gouvernement d’extrême droite, qui était plus contesté que jamais avant l’attaque du Hamas, tente actuellement de tirer profit de la situation en engageant une escalade risquée qui pourrait, à tout moment, déborder de l’enclave palestinienne.

Islam politique et Occident : des décennies de lunes de miel

L’ampleur inédite de l’assaut des islamistes du Hamas et ses conséquences ont été condamnées à l’unisson par les gouvernements occidentaux. Pourtant, les faits sont têtus et depuis longtemps documentés : les États-Unis et leurs vassaux, Israël inclus, ont de tout temps favorisé les forces se réclamant de l’islam politique, actives au Moyen-Orient et au-delà.

N’ont-ils pas soutenu la confrérie des frères musulmans, dont le Hamas est la branche palestinienne, en Égypte durant les années 50 et 60 afin de contrecarrer le régime panarabiste de Nasser ? N’ont-ils pas soutenu les « combattants de la liberté » islamistes en Afghanistan au courant des années 1980 dans leur lutte contre la République démocratique d’Afghanistan et les Soviétiques ? N’ont-ils pas soutenu les milices islamistes en Libye et en Syrie au début de la décennie 2010 pour renverser le régime de Mouammar Kadafi et pour tenter sans succès de reprendre le pouvoir au régime de Bachar-el-Assad ? En Chine, les États-Unis n’ont-ils pas retiré de leur liste des organisations terroristes en 2020 le Parti islamique du Turkestan, pourtant coupable des pires atrocités lors de la guerre civile syrienne, et dont l’objectif ultime est la création d’une théocratie dans la province chinoise du Xinjiang ? En résumé, l’Occident nous a depuis longtemps habitués à ses expressions hypocrites de compassion.

L’universalisme de la cause palestinienne

Ce soutien objectif à l’islam politique a pour but de transformer la cause palestinienne en un combat identitaire entre juifs et musulmans pour le plus grand intérêt de l’État d’Israël alors que les peuples à travers le monde n’ont jamais été autant solidaires de cette cause. La recrudescence des actes antisémites et anti-musulmans dans les pays occidentaux accompagne parfaitement cette vision manichéenne d’un combat qui demeure avant tout une guerre d’indépendance nationale entre colonisés et colonisateurs, contrairement aux affirmations de Netanyahou qui évoque qu’« il s’agit d’une lutte entre les enfants de la lumière et les enfants des ténèbres, entre l’humanité et la loi de la jungle ».

En s’attaquant ainsi aux populations juives, l’objectif n’est-il pas de discréditer la lutte légitime du peuple palestinien et d’interdire toute forme de soutien à cette cause dans les pays occidentaux ? L’objectif n’est-il pas de renforcer le sentiment d’insécurité de cette population et par conséquent, de la pousser à épouser le sionisme ? Certainement !

Pourtant, la dimension universaliste de la cause palestinienne ne peut être gommée d’un revers de la main. Le combat du peuple palestinien ne peut être dissocié du combat contre l’impérialisme qui est un système mondial et dont Israël représente l’avant-poste dans le Moyen-Orient. Ainsi, le peuple palestinien ne sera jamais complètement libre tant que persiste une domination coloniale dans le monde. Plus précisément, jamais le peuple palestinien ne sera libre tant que son peuple frère arabe sahraoui n’a pas son État et qu’il subit le joug de la monarchie rétrograde marocaine, alliée servile de l’État d’Israël.

D’un monde unipolaire vers un monde multipolaire

Il est indéniable que, à court terme, il est difficile d’envisager une issue positive pour le peuple palestinien face à la tragédie en cours à Gaza. Cependant, à moyen et à long terme, tout indique que la situation pourrait évoluer rapidement. Au cours des dernières années et après près de trois décennies de domination unipolaire sous la tutelle états-unienne, un monde multipolaire est en train d’émerger. Quel sera l’impact de cette évolution sur la lutte nationale démocratique palestinienne ?

La période souvent ironiquement appelée « pax americana », marquée par un soutien inconditionnel au gendarme de l’impérialisme au Moyen-Orient, Israël, est bientôt révolue. L’affaiblissement des États-Unis sur la scène internationale, avec l’émergence de nouvelles puissances, en particulier la Chine, se traduit par des prises de position diamétralement opposées concernant le conflit entre Israël et ses voisins. Pour la première fois depuis des décennies, la très grande majorité des pays, à l’exception des États-Unis et de leurs vassaux, exige une résolution définitive du conflit, fondée sur les résolutions adoptées par l’ONU, qui n’a jamais été mise en œuvre. En fin de compte, ce nouveau cycle de confrontation entre le Hamas et Israël est perçu par le bloc des « pays du Sud » comme une conséquence des décennies d’humiliation, d’injustice et de colonisation massive des terres palestiniennes. La seule solution pour sortir de l’impasse est la création d’un État palestinien viable selon les frontières de 1967, avec Jérusalem Est comme capitale, et le droit au retour des réfugiés. Cette option, grâce au nouveau rapport de force à l’échelle internationale, est désormais envisageable.

La solidarité avec la Palestine 365 jours par an

Nous, qui vivons dans les pays qui soutiennent inconditionnellement Israël, avons un rôle central à jouer : soutenir le peuple palestinien pour son droit à l’autodétermination. Il est impératif d’être présent et actif lors des manifestations et autres événements de solidarité avec la cause palestinienne lorsqu’Israël mène une guerre génocidaire comme celle-ci. Il est encore plus crucial de soutenir le peuple palestinien tout au long de l’année, en dehors des moments médiatiques, lorsque l’attention du public n’est pas focalisée sur la situation. C’est pendant ces périodes de silence qu’Israël continue de manière méthodique ses actions de répression, d’emprisonnement et de colonisation en Palestine.

Ici, au Québec, le gouvernement de François Legault a décidé il y a quelques mois d’ouvrir un bureau du Québec à Tel-Aviv. Cette décision scandaleuse doit être plus que jamais combattue par un front commun de toutes les organisations solidaires du peuple palestinien. Il faut également amplifier la campagne pour la libération des prisonniers palestiniens et s’associer à la campagne mondiale pour la libération de Marwan Barghouti qui croupit depuis plus de 22 ans dans les geôles israéliennes. En résumé, la cause palestinienne doit rester une priorité tout au long de l’année, 365 jours par an.