Figueroa c. Canada – sur l’importance des droits démocratiques
Figueroa c. Canada – sur l’importance des droits démocratiques
Manuel Johnson
Clarté – Mai 2025

Nous venons d’assister à une énième démonstration de l’absence de démocratie réelle au Canada. L’exercice électoral est présenté dans les médias et par les partis bourgeois comme les séries éliminatoires de la Coupe Stanley : on met l’accent sur les stratégies de communication et les qualités des individus et des équipes, le tout dans le but de déterminer le gagnant. Dans la course aux séries, on porte attention aux équipes puissants. Les équipes qui n’ont aucune chance de gagner reçoivent moins d’attention. N’est-il pas normal que dans le processus électoral, les petits partis qui n’ont aucune chance de former un gouvernement soient ignorés par les médias et les organisateurs des débats? Non, car la démocratie, ce n’est pas le hockey. Ce n’est pas tant le résultat qui est important en démocratie, mais le processus. Et, dans une démocratie réelle, c’est un débat politique large et diversifié qui doit être au centre de ce processus plutôt qu’un concours de popularité vide de contenu politique.
Nous nous battons pour la démocratie réelle, où les besoins, préoccupations et intérêts de la grande majorité – soit la classe ouvrière – seront représentés. Or, c’est précisément ce que la classe dominante – la petite minorité – veut éviter. Ainsi, plusieurs obstacles empêchent les petits partis, comme le Parti communiste, de se faire entendre, dont le mode de scrutin uninominal majoritaire à premier tour, l’absence de temps d’antenne égal dans les médias de masse et l’exclusion des candidats des petits partis des débats électoraux (à commencer par le débat des Chefs). Il y a aussi évidemment la disparité des ressources disponibles aux candidats des partis bourgeois – en moyenne 100 000$ par candidat..
Nous savons que le Parti communiste a déjà été interdit deux fois : entre ses origines en 1921 et 1924, et de 1940 à 1959. Plus récemment, dans les années 1990, on a tenté plus indirectement de faire disparatre le Parti. La Loi électorale a été modifiée pour établir une obligation de présenter au moins 50 candidats à travers le Canada pour conserver le statut de parti enregistré.
Sans illusion devant la nature de classe de la justice en régime capitaliste, le Parti communiste n’a pas hésité à s’engager avec succès dans une bataille pour la démocratie jusqu’en Cour suprême. Ce cas de droit politique est connu comme l’affaire Figueroa c. Canada, du nom du chef du Parti communiste de l’époque.
Dans un jugement rendu en 2003, la Cour suprême avance plusieurs principes démocratiques essentiels, dont le droit de chaque citoyen de participer pleinement au processus démocratique. Selon la Cour suprême, cela veut dire que les petits partis ne devront pas être limités dans leurs possibilités à faire campagne et à participer au débat politique.
« La participation au processus électoral possède une valeur intrinsèque indépendamment du résultat des élections, » écrit la Cour suprême dans le jugement. « Le droit de briguer les suffrages des électeurs offre aux candidats la possibilité de présenter certaines idées et opinions à l’électorat et le droit de vote permet aux citoyens de manifester leur appui à l’égard de ces idées et opinions. »
Pour la Cour suprême, le droit de vote protégé par la Charte des droits et libertés est donc plus large que le simple droit de déposer un bulletin dans une urne pour choisir un gouvernement : « Le droit de vote permet à tout citoyen de manifester son appui à l’égard des idées et opinions auxquelles souscrit un candidat donné. Dans chacun des cas, les droits démocratiques consacrés à l’art. 3 font en sorte que tout citoyen a la possibilité d’exprimer une opinion sur l’élaboration de la politique sociale et le fonctionnement des institutions publiques en participant au processus électoral. »
Ainsi, il faut favoriser une participation large au débat politique, et les petits partis jouent un rôle important dans ce processus : « Indépendamment de leur capacité d’influencer ou non l’issue du scrutin, les partis politiques constituent à la fois un véhicule et une tribune permettant aux citoyens de participer utilement au processus électoral. »
Pour Miguel Figueroa : « l’importance de ce jugement est primordial, puisqu’il a permis à plusieurs petits partis, pas seulement le Parti communiste, de continuer d’exister, voire d’être créés. La pluralité du débat démocratique est primordiale dans dans une société démocratique. Elle permet que l’offre politique ne soit pas limitée aux partis financés par le Capital comme dans une ploutocratie à l’américaine. » Il poursuit : « une fois le jugement rendu, j’ai reçu plusieurs appels et correspondances à l’effet que malgré nos différences politiques et idéologiques, notre victoire est historique pour la démocratie au Canada. »
En effet, ces gains sont importants. Mais ils ne restent que lettre morte si personne ne s’assure qu’ils soient respectés. La récente campagne électorale nous l’a rappelé : plusieurs organisateurs des débats locaux nous empêchent de participer pleinement à la « bataille des idées » du débat politique, faisant en sorte que les partis établis jouissent d’un avantage indu.
Quand nous avons l’opportunité de présenter notre programme pour la paix et le désarmement, pour l’emploi, pour le renforcement et expansion des services publics, pour la construction massive de logement social, et pour réduire le pouvoir des monopoles, les gens réagissent favorablement. Mais, ces idées sont dangereuses pour la classe dominante. Donc, il faut nous censurer. Ce faisant, c’est le droit de vote qui est directement attaqué. Et la démocratie qui en prend pour son rhume.