Quelles leçons tirer de l’expérience vénézuélienne ?

Quelles leçons tirer de l’expérience vénézuélienne ?


Adrien Welsh
redaction@journalclarte.ca
Clarté #52 – Juin 2023


En 1999, lorsque Hugo Chavez Frias accède au pouvoir au Venezuela, il bat en brèche l’idée de l’impérialisme et du capitalisme triomphants, soit celle de la fin de l’Histoire. Cuba n’est plus seule dans la sous-région, d’autres mouvements anti-impérialistes qui confinaient jusque-là leurs actions à la sphère économique comprennent l’importance de la prise du pouvoir politique. C’est le cas notamment en Bolivie avec « Tayta » Evo Morales, puis en Équateur avec « Mashi » Rafael Correa, puis suivent El Salvador, le retour des Sandinistes au Nicaragua, Pepe Mujica en Uruguay, etc.

Évidemment, l’impérialisme états-uniens qui voit son pré-carré se dérober à sa barbe n’accepte pas cette défiance et fomente, dès 2002, un coup d’État pour déposer Chavez et restaurer une bourgeoisie inféodée à Washington. Le peuple et la classe ouvrière ne restent pas coi et se mobilisent pour remettre en place leur Président légitime. Les impérialistes tenteront d’autres coups fourrés. Les derniers en date sont la reconnaissance du coup d’État de Juan Guaido (complètement discrédité mais pourtant toujours reconnu par le Canada) et des tentatives désespérées de coups militaires contre Maduro dirigées par des mercenaires.

Si le peuple vénézuélien a tenu bon et payé le prix fort des sanctions impérialistes qui lui ont été imposées, c’est parce qu’il savait que moyennant un retour de la droite continentale au pouvoir, la Loi organique du travail, les programmes sociaux (ou « missions »), les projets d’infrastructure, les entreprises nationalisées, bref tous les projets visant un développement économique et une certaine redistribution des richesses seraient terminé.

Or, au lieu de chercher à se sortir de la crise en approfondissant le processus bolivarien pour que celui-ci devienne une réelle révolution socialiste, le Parti socialiste unifié du Venezuela au pouvoir a fait comme tout parti social-démocrate : il s’est empressé de donner des garanties à l’impérialisme, comprenant que s’il ne voulait pas lutter pour le socialisme, il devait accepter, dans une situation économique catastrophique, de partager le pouvoir et permettre à l’opposition fascisante de reprendre pied économiquement afin de conserver le pouvoir d’État.

Ainsi, les minières (canadiennes notamment) qui avaient été évacuées sous Chavez ont droit à nouveau au tapis rouge pendant que des coopératives et autres entreprises agricoles nationalisées voient leur contrôle passer sous des capitaux privés. La Loi organique du travail est allègrement bafouée également. Au niveau politique, le gouvernement négocie avec « l’opposition » pro-impérialiste.

Dans un tel contexte, le Parti communiste du Venezuela ne peut que constater que les priorités du gouvernement n’ont plus à voir avec la défense d’un pays souverain et populaire, mais plutôt avec la compromission avec l’impérialisme. C’est pourquoi dès 2020, il forme l’Alliance patriotique révolutionnaire et s’entoure d’autres partis politiques fondamentalement favorables au processus bolivarien.

Dès lors, le gouvernement cherche à fomenter des scissions au sein de ces partis. Le PCV est dans la ligne de mire, mais le centralisme démocratique, la formation idéologique de ses militants et cadres l’empêchent d’utiliser la même voie. L’appui international envers le PCV, d’autant plus qu’il s’agit, comme ici, bien souvent des seules voies qui ont été conséquentes et ont continuellement lutté pour la défense de la souveraineté du Venezuela, n’est pas anodine non plus. Pour le régime au pouvoir, la seule option restante est l’illégalisation du PCV en bonne et due forme, la tentative de création d’un parti parallèle, un PCV « patriotique » ayant échoué.

Le Parti communiste du Venezuela est le premier parti politique à avoir compris la portée historique de Chavez et à l’avoir appuyé. Rapidement, il a proposé la formation d’un front unique anti-impérialiste, lequel a été travesti en parti unique (le Parti socialiste unifié du Venezuela). Refusant de s’y dissoudre, le PCV a conquis la formation du Grand pôle patriotique Simon Bolivar, regroupant l’ensemble des forces progressistes, anti-monopolistes et anti-impérialistes du pays. Or, autrement que sur papier, ce « pôle » n’avait aucune existence propre si ce n’est que pour reconduire une alliance strictement électorale, contrairement à l’Unité populaire du Chili où toutes les composantes politiques et sociales se réunissaient périodiquement afin d’établir un programme politique commun.

Jusqu’à la fin, le Parti communiste du Venezuela a cherché à ménager ses partenaires et se solidariser avec le gouvernement. C’est dans cette optique qu’en 2018, un accord a été signé entre le PSUV et le PCV afin de consentir à un candidat unique, Nicolas Maduro, aux Présidentielles. Or, une fois ce dernier élu, aucune réunion de suivi n’a été convoquée, à plus forte raison, aucun des éléments programmatiques convenus n’a été mis en place, bien au contraire.

Quelles leçons tirer de cette expérience?
  1. Deux grandes contradictions transcendent le capitalisme contemporain : capital – travail et souveraineté – impérialisme. La première est la contradiction fondamentale et la seconde peut, dans certains cas, comme au Venezuela, être la contradiction principale. Cependant, ces deux contradictions évoluent en parallèle. Ainsi, on ne peut, au nom de la défense de la souveraineté nationale, exiger des sacrifices de la classe ouvrière et permettre à la bourgeoisie nationale de s’ériger en bourgeoisie monopoliste;
  2. Un front unique anti-impérialiste est souhaitable tant et aussi longtemps que le Parti communiste (soit le détachement d’avant-garde de la classe ouvrière) puisse s’organiser indépendamment et soit pris en compte. Sans cette condition, le front n’est anti-impérialiste que de façade et finit par se convertir en outil pour la bourgeoisie nationale;
  3. Tant que les communistes ne sont pas aux commandes, la lutte de libération nationale ne peut être que capitaliste. Une vingtaine d’années plus tard au mieux, la bourgeoisie monopoliste naissante cherche à imposer son autorité et à se débarrasser de façon souvent brutale de ses anciens alliés. Elle liquide ainsi les conquêtes sociales pour mieux s’intégrer au capitalisme mondialisé.

Ces trois leçons ne sont pas seulement à tirer de l’expérience vénézuélienne. On l’a vu avec l’Afrique du Sud dont les gouvernements ANC n’ont pas hésité à trahir la Charte des Libertés de 1955. On l’a également vu avec le MPLA anglolais, la Frelimo du Moçambique, la Guinée de Sékou Touré, mais aussi avec l’Égypte nassérienne comme avec l’Algérie indépendante.

C’est ainsi que nous présentons deux textes. Le premier est de Sadek Hadjerès, décédé en novembre dernier. Sous le régime français comme sous celui de l’Algérie indépendante, il aura passé en tout 30 ans dans la clandestinité. Après l’indépendance, il organise le Parti communiste algérien devenu clandestin. En 1970, il devient le Premier secrétaire du Parti algérien de l’avant-garde socialiste (PAGS), soit du PCA recréé. L’autre est de William Sportisse qui a connu un sort semblable. Toujours vivant, il poursuit le combat au sein du Parti algérien pour la démocratie et le socialisme (PADS).

Dans les deux cas, l’enseignement est de taille : il n’est pas de libération nationale sans libération du prolétariat.

« Un tel Parti, même si sa composition est populaire, même si certains ou une grande partie de ses dirigeants sont issus de la classe ouvrière ou de la paysannerie pauvre, même si ses objectifs déclarés sont anti-impérialistes, deviendra tôt ou tard l’instrument de la domination de la bourgeoisie sur les masses laborieuses, même si cette bourgeoisie n’a pas encore d’assises économiques solides dans le pays. […] Si les conditions politiques et sociales dans le pays se trouvent réalisées, les communistes sont par contre partisans du parti unique sur la base de l’idéologie la plus révolutionnaire, celle de la classe ouvrière. »

Hadjerès, Sadek (1962). Essai sur les problèmes de la démocratie dans l’Algérie indépendante.

Bachir Hadj Ali avait également précisé notre position sur le parti unique dans Al Houriya du 23 novembre 1962, qui avait été saisi par les autorités alors que nous y proposions à Ben Bella la réalisation d’un front unique anti-impérialiste pour, comme le disait notre programme, « ouvrir la voie au socialisme ». Nous n’étions donc pas dans une opposition au pouvoir. Le programme que le PCA avait publié en avril 1962 en vue de l’indépendance était bien un programme unitaire : nous demandions l’union de toutes les forces patriotiques pour l’édification du pays, avec la plus large démocratie possible. Ce programme reste d’ailleurs actuel, à bien des égards. […]

Nous avons protesté contre l’interdiction du PCA de manière plus ou moins directe. […] Nous insistions également sur le fait qu’interdire le PCA, c’était obéir au chantage des pays impérialistes, qui faisaient campagne contre les partis communistes et pour que les anciennes colonies ne demandent pas l’aide des pays socialistes, en échange de quoi [les impérialistes] promettaient une aide économique. Le gouvernement français s’est d’ailleurs réjoui de l’interdiction du PCA tandis que de nombreux partis communistes dans le monde s’y opposaient.
[…]
À cette époque, Ben Bella, dans des discussions avec des camarades du Parti, leur a dit : « adhérez au FLN, et les portes vous seront ouvertes ». Il y a alors eu, au sein du PCA, la tendance à croire que l’expérience cubaine pouvait se produire en Algérie, comme en témoignent les très nombreux articles consacrés à Cuba dans Alger Républicain.

Mais cette comparaison était totalement erronée. À Cuba, c’est Fidel Castro et le mouvement du 26 juillet, issus de la petite-bourgeoisie, qui ont pris des positions marxistes-léninistes et que se sont alliés au Parti socialiste populaire pour constituer un parti communiste, parti unique issu d’un front anti-impérialiste pour édifier le socialisme. En Algérie, c’était complètement différent : les dirigeants du FLN ne voulaient pas être marxistes-léninistes! Certains […] pensaient que la petite bourgeoisie révolutionnaire algérienne serait influencée par la classe ouvrière mondiale et en viendrait à épouser les idées communistes. C’était un abandon des principes léninistes, car Lénine disait : nous soutenons la bourgeoisie nationale révolutionnaire, à condition qu’on laisse la classe ouvrière s’organiser dans ses syndicats et son parti et si l’influence internationale peut jouer, l’essentiel se déroule à l’intérieur, dans les luttes.

Sportisse, William (2012). Le Camp des oliviers.