« Équipes volantes » en santé : infirmières exploitées, économie centralisée, services privatisés
« Équipes volantes » en santé : infirmières exploitées, économie centralisée, services privatisés
Léo Boivin
Clarté – Septembre 2024
Au cœur du litige continu entre le gouvernement caquiste de François Legault et les infirmières du secteur public (représentées en grande partie par la Fédération interprofessionnelle de la santé, FIQ) se trouve le déploiement des dites « équipes volantes. » Si le problème est réel, à savoir que les hôpitaux et CLSC régionaux peinent à prodiguer les services de santé à la même hauteur que les grands centres comme Montréal, Québec ou Sherbrooke, la solution proposée par le gouvernement Legault cache bien des surprises.
L’exode des populations des régions vers les grands centres a commencé lors de l’industrialisation et de la concentration des monopoles autour des quelques centres industriels. Celui-ci se poursuit encore aujourd’hui alors que la désindustrialisation du Québec et du Canada après les années ’70 a provoqué la fermeture des maigres industries qui faisaient encore vivre les quelques localités qui subsistaient encore.
La conséquence est que les nouvelles populations émanant de ces localités en déclin préfèrent naturellement s’installer dans de plus grands centres afin d’y faire leurs études et de démarrer leur carrière, la vie en région étant de plus en plus précaire (peu d’emplois disponibles, manque d’accès aux mêmes ressources et services, etc.) De ce fait, il ne faut pas se surprendre d’apprendre que la dépopulation des régions causée par la concentration capitaliste de la production autour d’une poignée de grands centres cause un manque de ressources humaines dans les hôpitaux et CLSC régionaux.
La solution de la CAQ et du grand Capital dont il se fait servant ? Malléabiliser les travailleuses et travailleurs de la santé des grands centres en les obligeant à se déplacer à des centaines de kilomètres à la ronde pour pourvoir aux postes laissés vacants par la poursuite forcenée des intérêts du Capital. Les « équipes » volantes, ces quelques infirmières et infirmiers se déplaçant selon les caprices du patron, seraient appelées à « servir » une semaine à Chicoutimi, l’autre à Sept-Îles, et enfin l’autre à Gaspé ?! Casser l’esprit collectif du milieu de travail, malléabiliser la main-d’œuvre, déconnecter de la lutte syndicale : tous les points sont gagnants pour le patronat !
Et comme compensation ? Des primes, des primes et encore plus de primes. Travailler dans un lieu éloigné de son domicile devrait faire place à une plus grande rémunération, certes. Mais la forme de cette compensation est un des aspects de cette nouvelle forme de travail qui émeut le plus. Vivre de ses primes, ou vivre de son salaire ? Lorsque la course aux primes est ce qui permet de (tenter de) pallier aux salaires réels en chute libre, ceci désengage le gouvernement et le patronat dans le sens plus large de renverser cette cadence et de remettre ce qui est dû aux travailleurs et travailleuses.
Qui plus est, toutes ces équipes volantes ont été créées… sans que davantage de personnes n’aient été engagées ! C’est ce qui met le plus au jour la volonté exploitatrice et malléabilisante du patronat à l’endroit des infirmières et infirmiers. Car si ce ne sont pas de nouvelles personnes qui sont employées pour pallier de manière plus ou moins « durable » à la crise du manque de personnel dans les régions, ce sont des personnes déjà épuisées qui seront voyagées à tous les coins du Québec sans foi ni loi, excepté celles du profit.
À terme, ce projet s’imbrique parfaitement dans le parachèvement de la privatisation du système public de santé. Le manque toujours criant de personnel en région même après cette « solution » du gouvernement servira de prétexte pour la fermeture ou la vente d’hôpitaux et CIUSSS au secteur privé.
Quelle doit donc être la solution à cette dépopulation des régions et localités éloignées ? La réindustrialisation du Québec et du Canada y prendra une part active, et la décentralisation de l’économie vis-à-vis des grands centres tels Québec et (surtout) Montréal également. Le Capital organise l’industrie et l’économie autour du minimum de grands centres afin de mieux s’accaparer la production, et une économie populaire permettra cette décentralisation avec une économie gérée rationnellement : pas pour le plaisir de quelques-uns, mais pour la hausse des conditions de vie de tous.