La crise du logement : bonne pour les affaires!

La crise du logement : bonne pour les affaires!


Manuel Johnson
Clarté – Août 2024


Le premier juillet, plus de 1 600 ménages n’ont pas réussi à trouver un bail de logement au Québec. Ils sont actuellement hébergés par leur famille, des amis, ou l’État, tandis que certains doivent dormir à la belle étoile dans l’espace public.

Ce n’est pas une surprise pour les locataires de la classe ouvrière, qui subissent les hausses vertigineuses des loyers, les faibles taux d’inoccupation, les évictions abusives et le harcèlement des propriétaires. Des centaines de locataires potentiels font la queue pour visiter les logements relativement abordables disponibles, tandis que ceux qui en ont les moyens offrent souvent plus que le loyer demandé pour mettre la main sur cette denrée de plus en plus rare : un logement décent et abordable.

Après des décennies de désinvestissement public, la construction de logements sociaux est complètement gelée. Cette situation donne aux propriétaires, en particulier aux grands propriétaires corporatifs, le gros bout du bâton. Naturellement, les monopoles immobiliers en sont bien conscients. Non seulement le savent-ils, mais ils s’en vantent ouvertement dans leurs rapports financiers !

J’ai récemment dû affronter l’arrogance éhontée de l’un des géants des fiducies d’investissement immobilier canadiennes, CAPREIT, devant le Tribunal administratif du logement (TAL).
Le litige portait sur les paiements « fréquemment en retard » de mes clients. L’un d’eux était prestataire d’aide sociale, l’autre travaillait. Bien qu’ils soient de simples colocataires, le gouvernement du Québec a décidé qu’ils formaient un couple et a coupé les prestations d’aide sociale de mon client. Cela signifie qu’ils n’étaient plus en mesure de payer le loyer le premier du mois et ont commencé à payer vers la fin du mois. Ils payaient toujours leur loyer, mais celui-ci était retardé de 2 à 3 semaines chaque mois.

Au Québec, un loyer payé avec plus de trois semaines de retard entraîne une présomption absolue de « préjudice sérieux » et peut mener à une éviction si le loyer n’est toujours pas payé au moment de l’audience devant le TAL. En ce qui concerne les « retards fréquents de paiement », en principe ce préjudice sérieux n’est pas présumé. En pratique, plusieurs juges du TAL tiennent pour acquis que des retards fréquents causent un préjudice sérieux en raison de la « lourdeur administrative » imposée au propriétaire pour récupérer son loyer.

Dans le cas de mes clients, CAPREIT prétendait que la « lourdeur administrative » causée par les retards de paiement justifiait leur demande de les mettre à la rue, même si mes clients ne devaient aucun loyer au moment de l’audience. Pour contrer leur allégation de préjudice sérieux causé par les paiements en retard, j’ai produit les rapports financiers de CAPREIT.

Pour le début de 2024, CAPREIT a pu rapporter « un autre trimestre de résultats solides ». Les profits sont en hausse, et les coûts en baisse : « Au niveau opérationnel, le taux d’occupation demeurait élevé et le taux de roulement des locataires bas, un reflet continu d’un marché immobilier canadien en crise. Cela continue à alimenter la demande pour les logements de CAPREIT. »

Pour CAPREIT, la crise du logement est un jardin de roses : « Au dernier trimestre, d’importantes augmentations de loyers et de faibles taux de vacance ont été accompagnés par une réduction des coûts d’opération. » Nous savons que lésiner sur les réparations est l’une des principales méthodes utilisées par les grands propriétaires corporatifs pour réduire leurs coûts. Dans un contexte de crise du logement, tel que souligné par le rapport financier de CAPREIT, les locataires ont tendance à rester en place au lieu de quitter un logement mal entretenu.

CAPREIT gère 57 289 logements au Canada et 6 862 aux Pays-Bas. La valeur totale de leurs avoirs s’élève à près de 17 milliards de dollars canadiens, soit plus que le PIB de plusieurs pays. Leur taux de « revenu net des opérations » (c’est-à-dire le taux de profit) était de 64,1 % pour le premier trimestre de 2024, en hausse de 7,6 % par rapport à la même période l’année passée. Cela s’est traduit par 182 millions de dollars canadiens de profits pour le premier trimestre. CAPREIT possède un coussin de 370 millions de dollars en avoirs liquides.

Et les paiements retardés de 2 à 3 semaines de mes clients causent un « préjudice sérieux » à CAPREIT ?

En réponse à cet argument, la représentante du monopole soutenait que les retards de paiement privaient CAPREIT des revenus d’intérêts. Calculés selon le taux légal, les paiements en retard de mes clients auraient coûté à CAPREIT 61,16 $ sur une année.

Avec ces chiffres, on pourrait penser que la demande d’éviction de CAPREIT serait automatiquement rejetée. Malheureusement, la jurisprudence a tendance à privilégier les droits de propriété aux dépens des droits humains fondamentaux, tels que le droit au logement. Il y a donc toujours un risque que ces locataires soient évincés pour une question de 61,16 $ en perte de revenus d’intérêts, tandis que CAPREIT continue à engranger des profits records grâce à la crise du logement. Le jugement sera rendu quelque part avant la fin de septembre.