Élections 2022 : la lutte, pas la collaboration de classes

Élections 2022 : la lutte, pas la collaboration de classes


Parti communiste du Québec (PCQ-PCC)
Comité exécutif national
1er septembre 2022


Les élections québécoises du 3 octobre prochain représentent un enjeu important pour l’avenir des travailleur-euses et des masses populaires du Québec. Au-delà de la quasi-certitude d’une victoire de la CAQ, elles entérineront un nouveau rapport de forces politique aux répercussions importantes dans la résistance aux politiques du capital. 

Pour François Legault, l’enjeu est de maintenir son pouvoir personnel qu’il a abondamment utilisé au cours de son dernier mandat, ce dont témoignent les deux dernières années de gouvernance par décret dans le milieu de la santé. Pour la CAQ, il s’agit de renforcer son hégémonie et s’imposer comme clé de voute de la recomposition politique voulue par les monopoles. 

Quant aux partis d’opposition, ils luttent surtout pour leur survie dans un réalignement des forces politiques. 

Le Parti libéral et le Parti québécois, les deux formations de l’alternance qui a servi le patronat entre 1976 et 2018 peinent à se tailler une place dans ce nouveau rapport de forces. Le côté “économique” du PLQ lui a été ravi par la CAQ, l’obligeant à se replier sur le vote anglophone et hostile à toute ouverture envers les droits nationaux du Québec. Le PQ quant à lui ne peut plus se prétendre comme seul garant de l’indépendance, proposition que Québec solidaire lui dispute avec un avantage pour ce dernier : ne pas avoir l’ombre de deux défaites référendaires au tableau. Du reste, le nationalisme ethnique, réactionnaire et étroit de la CAQ séduit une partie de l’électorat péquiste. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les transfuges de ces deux parties affluent vers la CAQ : Legault lui-même n’était-il pas un ministre du gouvernement Bouchard? A contrario, Dominique Anglade a assumé la position de Présidente de la CAQ, prouvant qu’au final, la distinction est mince entre Libéraux, caquistes et péquistes. 


À gauche, Québec solidaire a abandonné de nombreuses positions cardinales pour se rapprocher du pouvoir et être perçu comme une option crédible pour le patronat. Ce faisant, il délaisse peu à peu toutes les questions qui cherchent à établir un nouveau rapport de force entre le capital et le travail. Il les remplace par les questions sociétales et courtise essentiellement une petite-bourgeoisie vaguement progressiste en peur de déclassement. 


À l’autre bout du spectre politique, le Parti conservateur d’Éric Duhaime a réussi à consolider un pôle d’extrême-droite dédiabolisée où conspirationnistes et défenseurs des discours antiscientifiques rejoignent une partie de la base ultra-conservatrice de l’ancienne ADQ, mais aussi certains individus qui se revendiquent d’une pseudo-gauche libertarienne “anti-système”. 


Pourquoi une telle recomposition politique? 


Dans le contexte actuel de compétition exacerbée entre monopoles au sein d’une économie mondialisée, avec pour trame de fond un danger de récession voire de dépression, le capital n’a plus aucune marge de manoeuvre. Plus que jamais, le politique doit marcher au pas. Pour ce faire, il faut à la fois détruire la charpente de solidarité de classe conquise jusqu’à présent – si limitée soit-elle – et empêcher toute tentative d’expansion. Tout ce qui empêche le patronat d’avoir les coudées franches, tout ce qui peut représenter un obstacle à la course aux profits capitalistes hic et nunc doit être aboli. Il faut faire porter le fardeau de la crise capitaliste sur les travailleur-euses et les masses laborieuses tout en maintenant une paix sociale. Bref, le capital a besoin d’un véhicule politique stable et “consensuel”. 
Au cours des quatre dernières années, le patronat a trouvé dans la CAQ et François Legault sa courroie de transmission la plus solide. En habile stratège politique, il a su manier la carotte comme le bâton et générer un capital politique sans pareil qu’il a su faire fructifier avec la venue presque providentielle de la pandémie de COVID19. 

Quatre ans de pouvoir personnel au profit du patronat 

À peine arrivé au pouvoir, il annonce en grande pompe la Loi 21 sur la “laïcité” de l’État et satisfait de ce pas la frange la plus nationaliste de sa base électorale. En 2021, il surenchère avec la Loi 96 et sa révision de la loi 101. Au final, ni l’une ni l’autre ne vise l’objectif prétendu, mais cherche plutôt à fomenter une division entre salarié-es en se saisissant d’enjeux liés à la question nationale sans jamais mentionner l’élément clé pour un règlement de cette question dans les intérêts de la classe ouvrière : le droit à l’autodétermination jusqu’à et y compris la sécession. En effet, alors que la loi 21 permet surtout de stigmatiser les femmes musulmanes et leur restreindre l’accès au travail, la loi 96 est porteuse de divisions notamment dans le mouvement syndical. Avec de telles mesures, François Legault cherche à instituer une “guerre civile entre pauvres” et exploiter le potentiel réactionnaire de la question nationale plutôt que son potentiel progressiste. 

Cherchant à remplacer la démocratie par la gouvernance, il abolit les Commissions scolaires avec la Loi 40 là où il aurait fallu au contraire renforcer le rôle de cet important palier de démocratie locale. Comble de l’ironie, celles-ci sont remplacées par des “Centres de services scolaires” dont la seule différence est l’abolition de tous les postes élus… Durant toute la période de pandémie, le gouvernement a dirigé par décret dans le système de santé, poussant jusqu’à l’épuisement professionnel les différents agents de santé, le tout sans avoir à consulter l’Assemblée nationale. Son but est clair depuis le début, et tout porte à croire que cette tendance s’intensifiera : diriger le Québec comme s’il s’agissait d’une entreprise. Devant la course aux profits, pas de place pour la démocratie! 

En matière de lutte entre le capital et le travail, Legault s’est montré des plus vicieux. En début de mandat, il s’est assuré de montrer ses couleurs en prenant fait et cause pour la partie patronale lors du lock-out de l’aluminerie ABI à Bécancour. Lors des négociations du secteur public en 2021, il a octroyé plus que ce que demandaient les syndicats les moins revendicatifs pour forcer une entente en vitesse, fomenter une division et casser la légitimité des syndicats plus combattifs. Se rappelant du fait que son élection il y a quatre ans était attribuable notamment au rejet de la cure austéritaire de M. Couillard, il refuse de couper dans les services publics, mais refuse de les refinancer. Il se saisit même de la faillite du service de santé pour paver la voie à une réforme à venir qui donnerait la part belle au privé. Acculé par la grève éminemment politique des travailleur-euses de CPE, Legault a dû promettre de nouvelles places en garderies, mais pour y parvenir, il cherche non pas à renforcer le réseau public, mais à convertir des garderies non-subventionnées en places conventionnées sans pour autant préciser si celles-ci seraient publiques ou non. Quant à la Loi 59, elle met à sac les conquêtes en matière de prévention et réparation en santé et sécurité au travail plutôt que de l’étendre sous prétexte d’une meilleure couverture dans un contexte de nouveaux enjeux laboriaux.   

Avec toute son expérience et sa sagacité, Legault sait que le succès à long terme de son projet politique repose sur l’adhésion d’une partie du mouvement syndical à l’institutionnalisation du dialogue social entre État – capital – travail (comme à l’époque du déficit zéro). C’est pourquoi il tempère ses attaques et s’affaire à déconstruire minutieusement, brique par brique, le bâti de solidarité de classe restant tout en s’assurant de liguer les travailleur-euses les uns aux autres et ainsi empêcher toute unité contre le patronat. Affaiblir cette unité ouvrière est le premier pas vers une attaque patronale débridée, l’objectif final de François Legault. 

Le dilemme : recomposition politique ou lutte des classes? 

Cette recomposition politique n’est pas unique au Québec. On la voit à l’œuvre depuis l’arrivée du rottamatore Renzi en Italie, ou alors d’Emmanuel Macron en France notamment. Or, le politique étant l’économique concentré, on sait qu’elle n’est qu’un premier pas dans une série d’attaques patronales sans précédent. Les indicateurs économiques contradictoires laissent présager une volatilité et une crise profonde de l’économie dont l’issue peut être soit patronale soit populaire selon les choix politiques actuels. Soit il s’agit d’accompagner cette recomposition, donc accompagner les plans du capital, soit il s’agit de lutter non pas contre celle-ci, mais contre le capital lui-même. 

Communistes, nous avons fait le choix de la lutte des classes. Nous refusons de voir en Legault et la CAQ l’ennemi principal. Si leur réélection représente le principal danger lors du scrutin du 3 octobre, c’est d’abord parce qu’ils sont les porte-parole de choix du capitalisme monopoliste d’État au Québec qui, lui, représente notre ennemi principal. C’est contre lui que nous devons nous organiser et résister sans compromis, faute de quoi nous accompagnons cette recomposition politique où d’une part, le centre de gravité se déplace vers la droite et de l’autre, les différences entre le pôle “de gauche” représenté par une social-démocratie qui n’a plus rien à vendre que du sociétal et celui de droite représenté par un populisme fascisant exacerbé s’amenuisent. Or, c’est justement ce terreau qui est le plus fertile pour la montée de l’extrême-droite, en particulier dans un contexte de crise économique, de guerre et de potentielle récession, surtout lorsque la “gauche” s’éloigne des questions matérielles et socio-économiques au coeur des préoccupations des travailleur-euses.