La hausse du salaire minimum ne compense pas l’effondrement du pouvoir d’achat

La hausse du salaire minimum ne compense pas l’effondrement du pouvoir d’achat


Sylvain Archambault
redaction@journalclarte.ca
Mars 2023


Le ministre Jean Boulet a annoncé le 18 janvier dernier que le salaire minimum augmentera d’un dollar de l’heure le 1er mai prochain. Il a aussi déclaré que « La hausse équivaut donc à 40 $ brut par semaine pour un employé qui travaille ses 40 heures hebdomadaires. Au bout du compte, le pouvoir d’achat des travailleurs au salaire minimum augmentera de 4,26 % ».

C’est faux. L’inflation est un taux d’augmentation général de prix. Pour avoir un aperçu plus réaliste, nous devons exprimer les chiffres en dollars par rapport au salaire moyen. Ainsi, en prenant en compte le salaire moyen de 41 654 $, la perte pour l’année 2022 a été de 2 790,82 $ (41 654 $ x 0,067). Bien que l’augmentation nominale du salaire minimum de 40 $ par semaine équivaut à une augmentation annuelle de 2 080 $, il y aura néanmoins une perte de pouvoir d’achat de 710,80 $ pour l’année, en supposant une semaine de travail de 40 heures.

Les faits :

  • De 1960 jusqu’à 2021, la croissance du PIB n’a été négative que durant 5 années.
  • En prenant en compte l’inflation, le pourcentage d’augmentation réel de la croissance du PIB de 1960 à 2021 dépasse les 4900 %.
  • Selon l’évolution des taux d’inflation au Canada, la hausse des prix sur cette période a atteint 823,53 %.
  • En 1960, le salaire moyen était de 16 000 $. Afin de maintenir le pouvoir d’achat à son niveau initial, sans aucun gain issu de la croissance économique, ce salaire moyen devrait atteindre 131 800 $ en 2022 (16 000 $ multiplié par 8,23, soit l’augmentation du taux d’inflation). Cependant, en réalité, le salaire moyen actuel est seulement de 41 654 $ en 2022, ce qui représente une différence de 90 143 $ par année.
  • Au Québec, le salaire minimum est passé de 0,69 $ en 1960 à 14,25 $ en 2022, ce qui représente une augmentation de 2065,22 % en pourcentage. Si le salaire minimum avait suivi le taux d’inflation, il serait seulement de 5,68 $ en 2022 (0,69 $ multiplié par 8,23, soit l’augmentation du taux d’inflation).

L’application mécanique du taux d’inflation est un outil utilisé pour faire baisser le prix de la force de travail. En d’autres termes, cela permet aux employeurs de ne pas augmenter les salaires autant qu’ils le devraient. On le constate facilement par la tendance à la diminution constante du pouvoir d’achat des travailleurs et travailleuses, malgré l’augmentation nominale de leurs salaires. Ainsi, la classe ouvrière s’appauvrit de façon absolue, quelle que soit la façon dont le gouvernement ou le ministre Boulet présente la situation.

En 1960, construire un duplex coûtait environ 18 000$, ce qui représentait 1,125 fois le salaire moyen. En comparaison, à Montréal en 2022, le même duplex coûte plus de 450 000$ pour un salaire moyen de 41 654$, soit 10,8 fois le salaire moyen. Cela montre à quel point l’inflation a un impact important sur l’accessibilité des biens et des services pour la classe ouvrière.

Il est vrai que ces dernières années, il y a eu une tendance à une plus grande égalisation des revenus au sein des masses, mais cela s’est souvent produit au détriment d’un appauvrissement général et de l’effondrement de l’économie interne. En même temps, il y a eu une augmentation spectaculaire de la richesse totale, avec une croissance de plus de 4900% du PIB. Cependant, cette richesse est souvent canalisée vers les institutions financières et les monopoles, ce qui contribue à la concentration et à la centralisation de la richesse sociale, notamment pour la spéculation boursière.

Après une longue lutte menée par les femmes du mouvement ouvrier, Pauline Marois a mis en place le réseau des garderies. Bien que cette initiative ait été largement saluée, plusieurs ont critiqué le financement du réseau. En effet, Lucien Bouchard a félicité Marois pour avoir réussi à mettre en place le réseau sans coûter un sou au budget, en se basant sur les frais payés par les parents et la mise en place d’un frais pour la médication des personnes âgées.

Les gouvernements ne répondent pas aux revendications des travailleurs en utilisant l’argent généré par la création de richesse, mais plutôt en imposant des frais supplémentaires à une partie de la classe ouvrière. Cela signifie que les coûts sont reportés sur les travailleurs eux-mêmes plutôt que d’être payés par les personnes et les entreprises qui ont bénéficié de l’augmentation de la richesse.

Les gouvernements du Québec ont répété cette même stratégie dans les négociations du secteur public afin de réduire les revenus des employés. Au cours des années 1960 à 2022, ils ont interdit la lutte politique et ont mené des campagnes pour faire croire à la population que les travailleurs du gouvernement étaient des privilégiés. Ensuite, ils ont mis en place de nombreuses lois pour contrôler la négociation, y compris en obligeant les syndicats à se réorganiser par groupe plutôt que par industrie. Ils ont également réorganisé le réseau pour mettre les organisations syndicales en conflit les unes contre les autres. Dans les négociations, ils ont favorisé l’augmentation au même pourcentage pour tous les travailleurs afin de faire baisser le plancher des salaires et de réduire le salaire moyen. Cette stratégie a créé une division entre les travailleurs à haut et à bas salaires et a brisé l’unité nécessaire pour bâtir un rapport de force et maintenir les revenus, les services publics et les acquis.

Les gouvernements fédéraux et provinciaux ont fait de la privatisation des services et du démantèlement des programmes leur priorité. Le Pacte de l’automobile a abandonné l’exigence de production locale sur notre territoire. Les accords de libre-échange ont ouvert la porte aux monopoles étrangers, au détriment de notre production interne, y compris dans le secteur agricole. Ils ont même sacrifié la souveraineté du Canada pour permettre aux monopoles de profiter d’autres territoires.

Malgré les milliards de dollars investis dans d’autres pays, les gouvernements canadiens n’ont pas été capables de fournir de l’eau potable à 50 nations autochtones privées de cette ressource vitale. Pendant ce temps, ils continuent de permettre le pillage des terres autochtones, laissant les communautés dans des conditions de pauvreté extrême. Ironiquement, ils prétendent défendre les droits des peuples dans d’autres pays tout en sapant l’environnement et les droits sociaux chez eux. Quels mensonges !

En 2014, le président des compagnies Loblaw et des Aliments Weston avait annoncé l’achat de Shoppers Drug Mart pour 12,4 milliards de dollars, tout en évoquant le contexte difficile dans lequel les entreprises se trouvaient. En mars 2023, lors de son témoignage devant le comité parlementaire, G.G. Weston a affirmé qu’il ne profitait pas de l’inflation, malgré des profits records. Sont-ils vraiment si innocents ?

Agissons maintenant ! Nous devons former mouvement ouvrier et syndical unifié et lutter pour garantir aux travailleuses et travailleurs une vie décente, l’égalité en droit et la possibilité de participer pleinement à la gestion démocratique de l’économie et de la richesse qu’ils produisent. Nous devons exiger une nouvelle Constitution qui garantit un revenu décent, l’élargissement de nos programmes sociaux, la nationalisation de nos principales ressources, la pleine et entière égalité des nations, l’égalité des femmes et des genres, la reconnaissance des droits des travailleurs et travailleuses migrant.e.s, le droit au logement et nos droits syndicaux. Nous ne pouvons plus attendre, l’heure est venue de prendre des mesures concrètes pour changer notre système économique et politique et pour garantir que chacun et chacune ait une vie digne.