Au-delà de l’effondrement de la CAQ, le pouvoir des monopoles veille au grain
Au-delà de l’effondrement de la CAQ, le pouvoir des monopoles veille au grain
Adrien Welsh
redaction@journalclarte.ca
Clarté – Janvier 2024
Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’année 2023 a été difficile pour la CAQ et François Legault. Les derniers coups de sonde les placent en deuxième position (derrière le Parti québécois) en matière de votes obtenus, voire en troisième position en nombre de sièges. À titre comparatif, un an plus tôt, ils trônaient incontestablement avec plus de 40% des votes et 90% des sièges projetés.
C’est qu’entre-temps, les bourdes politiques se sont multipliées. Entre les annonces contradictoires concernant le 3e lien, l’implantation d’une filière batterie sans grandes garanties, la condescendance à peine voilée à l’égard des syndicats au même moment où le manque de 8000 professeurs en début d’année est annoncé, puis les millions de dollars gaspillés pour faire jouer les Kings de Los Angeles ou encore une augmentation indécente des salaires des députés en pleine crise inflationniste, la confiance populaire envers la CAQ, y compris au sein de sa base électorale, s’effrite à telle enseigne qu’une partie, attirée par un nouveau chef qui ne traine aucune casserole, se replie sur le Parti québécois. L’élection partielle dans Jean-Talon l’illustre.
Cependant, réduire l’effondrement que connaît présentement la CAQ à une série d’erreurs politiques de même que d’en prédire la mort définitive relèvent d’un manque de profondeur.
En effet, le phénomène de perte de terrain n’est pas unique à la CAQ ni ici, au Canada (Justin Trudeau accuse également un retard considérable devant les conservateurs de Poilièvre), ni ailleurs dans le monde où tous les gouvernements qui ont été aux commandes au cours des dernières années paient les frais de la crise inflationniste, des politiques monétaires et autres mesures qui ont mené à un appauvrissement des masses laborieuses.
Il faut également rappeler que François Legault a été élu sur la base d’un mandat obtenu directement de la part des monopoles : appliquer à la lettre leur feuille de route. Malheureusement, la pandémie de COVID19 a quelque peu ralenti ce dessein. Or, l’échéance électorale de 2022 passée, il a pu dévoiler son vrai visage à ceux qui, encore crédules, y voyaient un Premier Ministre posé et raisonnable.
Dans la foulée, Mme Borchu démissionne d’Hydro-Québec, puis est remplacée par Michael Sabia pour accompagner la privatisation de cette société d’État, Christian Dubé dévoile sa réforme visant à démanteler le service public de santé; Bernard Drainville, celle de l’éducation. Quant à Mme Duranceau, elle cherche à passer en force une loi sur le logement visant à faire payer la crise du logement par les locataires dont elle ne dissimule pas son mépris. À ceci, il convient d’ajouter coup sur coup l’ouverture d’un bureau du Québec à Tel-Aviv et le refus de se prononcer en faveur d’un cessez-le-feu dans le conflit qui oppose Israël au peuple palestinien, ce qui témoigne d’une volonté claire d’intégrer de plus belle le Québec à l’impérialisme nord-américain.
Ici, il ne s’agit pas d’erreurs politiques, mais de mesures murement réfléchies et nécessaires pour faire valoir les intérêts du capital et lui ouvrir des marchés jusque là verrouillés par les services publics et affaiblir toute possibilité d’organisation et de résistance.
En vieux routier de la vieille politique, François Legault sait manoeuvrer. Sa patience représente un de ses meilleurs atouts. À plus d’un an des prochaines élections québécoises, il peut se permettre une traversée du désert, puis rebondir. On l’a vu maintes et maintes fois : à la moitié de son premier mandat, Jean Charest se retrouvait en queue de peloton également, ce qui ne l’a pas empêché d’être réélu.
En effet, rien n’exclut que d’ici l’été, il passe en force les mesures les plus anti-populaires pour retomber dans le populisme qui l’a porté au pouvoir en 2018 : celui du nationalisme étroit et identitaire. Cette hypothèse est d’autant plus probable que d’ici 2026, une échéance électorale fédérale sera passée et, si la tendance se maintient, les Conservateurs risquent de remporter la mise.
Ce tandem pourrait faire réfléchir à deux fois les nationalistes désillusionnés par l’autonomisme de François Legault qui annoncent regagner leur vaisseau-amiral qu’est le PQ dirigé par Paul Saint-Pierre-Plamondon, car soucieux de faire un carton plein au Québec, Poilièvre pourrait donner un coup de pouce à son homologue provincial…
À ceci, ajoutons que depuis l’arrivée de la CAQ dans le paysage politique, l’offre politique s’est multipliée et le système de vote uninominal à un tour permet de faire s’annuler les contraires en tirant sur les bonnes ficelles, un jeu d’autant plus facile lorsqu’en définitive, aucune formation politique ne cherche à bâtir un véritable rapport de forces contre le pouvoir des monopoles, véritable maitre du jeu.
Pour s’en convaincre, il suffit de constater les positions des différents partis devant l’une des mobilisations socio-économiques les plus importantes des dernières années : les grèves dans le secteur public. À l’exception de Québec solidaire, aucun parti représenté à l’Assemblée nationale ne s’est engagé clairement en faveur des grévistes. Tous se sont contentés d’en profiter pour attaquer Legault et la CAQ et d’en tirer du capital politique, y compris le Parti québécois qui a brillé par son silence en la matière. Même Québec solidaire ne s’est pas aventuré au-delà des limites de l’action politique parlementaire afin de dynamiser la lutte.
Pourtant, cette lutte syndicale était éminemment politique. Un de ses succès est d’avoir révélé le pouvoir des monopoles et d’avoir ouvert une brèche dans l’hégémonie de la CAQ, rappelant que les forces vives existent pour s’y attaquer. Ainsi, la dégringolade de la CAQ peut soit être temporaire, soit permanente, mais le plus important est de ne pas méprendre la proie pour l’ombre et oeuvrer à renforcer le rapport de forces conquis au cours de ces négociations pour les batailles à venir. Car d’une part, s’attendre à ce que le jeu politique suffise pour faire tomber le gouvernement Legault est un pari plus que risqué et de l’autre, même s’il tombe, les contre-réformes qu’il aura passées en force ne seront pas défaites advenant un autre parti politique élu.