De la continuité à l’adaptation, l’impérialisme états-unien sous Trump
De la continuité à l’adaptation, l’impérialisme états-unien sous Trump
Jad Kabbanji
Clarté – Mars 2025

Depuis sa réélection en décembre 2024, Donald Trump a relancé avec fracas les débats sur la politique étrangère états-unienne. Derrière ses provocations et son populisme agressif se cache une question centrale : assiste-t-on à une nouvelle forme d’impérialisme ou à une simple mue tactique d’un système déjà bien rodé ? Il faut revenir à l’essence même de l’impérialisme, un concept trop souvent réduit à des rapports de force géopolitiques. Cette vision superficielle confond les causes et les conséquences : les rivalités entre États ne sont que le reflet d’une logique plus profonde, celle de la domination économique par les monopoles. L’impérialisme n’est pas simplement une question de puissance militaire ou d’influence politique ; c’est avant tout un système mondial où les grandes entreprises étendent leur emprise pour contrôler les ressources, les marchés et les zones stratégiques.
Le pouvoir politique aux États-Unis, contrôlé par les monopoles états-uniens, en est l’archétype : leur hégémonie s’est construite à travers le temps sur un mélange de soft power (accords commerciaux, aide humanitaire, culture de masse) et de hard power (interventions militaires, sanctions). Sous Trump, cet équilibre vole en éclats. Le hard power – chantage aux alliés, sanctions économiques brutales, interventions ciblées – devient l’outil dominant, tandis que le soft power est en partie sacrifié. Cette évolution ne marque pas une rupture, mais une adaptation d’un impérialisme en crise, confronté à l’essor de la Chine et à l’épuisement d’un modèle néolibéral en déliquescence.
Stratégie trumpiste : austérité forcée, militarisation et sabotage des institutions internationales
Trump incarne une logique impitoyable : pour sauver l’hégémonie états-unienne, il faut cannibaliser amis et ennemis. Sa stratégie repose principalement sur trois axes interdépendants.
D’abord, isoler la Chine. Loin du libre-échange des années 1980, qui a permis à Pékin de devenir un rival, Trump impose des tarifs douaniers supplémentaires de 10 % sur les produits chinois. Objectif : protéger les monopoles états-uniens tout en essayant d’étrangler l’économie chinoise. Ensuite, le chantage à l’OTAN. En exigeant que les pays membres portent leurs dépenses militaires à 5 % du PIB, il impose des coupes massives dans les budgets sociaux. Les dépenses publiques – santé, éducation, logement – sont sacrifiées pour financer l’achat d’armes états-uniennes, engraissant les géants de l’armement comme Lockheed Martin ou Raytheon. Enfin, le sabotage des institutions multilatérales. L’ONU, dont le budget est asphyxié par l’arrêt des paiements des États-Unis, est affaiblie dans son rôle de régulateur des conflits. Pour Washington, c’est une aubaine : un système onusien affaibli laisse le champ libre à l’expansionnisme militaire et économique.
Cependant, Trump ne fait que poursuivre la politique des gouvernements états-uniens précédents, mais dans un contexte qui exige un style et des méthodes plus autoritaires. Biden a rasé Gaza tout en marginalisant l’ONU durant la guerre génocidaire, ouvrant la voie à Trump, qui évoque désormais le déplacement forcé des Palestiniens. De même, Biden a entamé une politique protectionniste en taxant les produits chinois et en renégociant l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) pour favoriser les intérêts états-uniens, une politique que Trump menace maintenant d’appliquer concrètement en taxant de 25 % les produits canadiens et mexicains.
En réalité, Républicains et Démocrates sont deux visages d’un même système impérialiste, où les méthodes varient, mais les objectifs restent identiques : servir les monopoles et maintenir la domination états-unienne, quitte à plonger le monde dans le chaos.
Ottawa et Québec : la servitude volontaire à l’empire états-unien
Le Canada, économiquement ligoté aux États-Unis via l’ACEUM, illustre les ravages de cette stratégie impérialiste. Le sous-sol québécois, riche en minerais stratégiques comme le lithium et les terres rares, est déjà mis au service de l’armée états-unienne pour ses projets d’armement high-tech. À l’Ouest, les sables bitumineux de l’Alberta, exploités par des géants comme Exxon et Chevron, symbolisent cette dépendance économique et environnementale. Ottawa, soumis aux diktats de Washington, joue les « bons élèves ». Sous la menace de sanctions commerciales, Mark Carney, ministre des Finances, a promis d’atteindre 2 % de dépenses militaires d’ici 2030 – une augmentation de 40 % du budget depuis 2024. Cet argent, détourné des services publics essentiels, finance des achats massifs d’armement états-unien : F-35, systèmes de missiles, contrats juteux pour les monopoles de l’armement. Bill Blair, ministre de la Défense, a même annoncé l’intention du Canada de se joindre au projet de bouclier antimissile « Dôme de fer » de Trump, un programme coûteux qui renforce l’emprise militaire états-unienne sur le territoire canadien.
Cette soumission ne se limite pas aux cercles fédéraux. Doug Ford, pourtant critique de Trump en public, a appelé lors d’un séjour aux États-Unis en février 2025 à « travailler ensemble » pour « renforcer les liens économiques et sécuritaires » – un euphémisme pour valider l’alignement sur les priorités impérialistes de Washington. François Legault, quant à lui, plaide ouvertement pour que le Québec serve de rempart à l’« emprise de la Chine » en fournissant aux États-Unis des minerais stratégiques comme le lithium, le graphite et le gallium. « Le Canada partage les mêmes préoccupations que les États-Unis à l’égard de la Chine, et nous devrions nous aligner davantage avec la stratégie états-unienne, notamment en ajoutant des tarifs supplémentaires aux mesures déjà en place », a-t-il déclaré. Ce discours transforme le territoire québécois en une simple réserve extractive, au service des ambitions géopolitiques états-uniennes, tout en sacrifiant les intérêts des communautés locales et l’environnement.
Cette soumission généralisée, tant au niveau fédéral que provincial, révèle une réalité troublante : les dirigeants canadiens et québécois sont prêts à se coucher devant les intérêts sonnants et trébuchants des monopoles et à sacrifier la souveraineté sur l’autel de l’impérialisme états-unien.
Contre l’impérialisme, seule la lutte compte
Loin de diviser, l’agressivité belliqueuse de Donald Trump, a le mérite de cristalliser une opposition populaire à l’ingérence des États-Unis dans les affaires du Canada. Pour les partisans de la paix, ce momentum est une opportunité historique. Dans un contexte de menace existentielle et donc de guerre généralisée, il est impératif d’agir maintenant. Le Canada, cible des pressions états-uniennes, doit se défendre. Mais pas au nom d’une souveraineté de façade, celle des dirigeants qui plient devant les monopoles et l’OTAN. La souveraineté à défendre est populaire : elle passe par la nationalisation des secteurs clés de l’économie, une réindustrialisation sous contrôle public et le retrait immédiat de l’OTAN. Ces mesures ne sont pas des slogans, mais des leviers concrets pour briser l’emprise impérialiste de Washington. Autour d’elles, syndicats, mouvements écologistes, partis antimonopolistes, organisations anti-guerre et citoyens peuvent et doivent s’unir. Les années à venir seront décisives : soit nous laissons l’humanité sombrer dans la logique prédatrice de l’impérialisme, soit nous bâtissons un front uni, déterminé à faire triompher la paix et la justice. À nous de choisir, et d’agir. La paix ne se négocie pas, elle se conquiert par la lutte, et la souveraineté des peuples ne se négocie pas, elle s’impose.