Guerre en Ukraine : Quelles avenues pour le mouvement syndical québécois ?
Guerre en Ukraine : Quelles avenues pour le mouvement syndical québécois ?
J. P. Fortin
redaction@journalclarte.ca
Clarté #47 – Août 2022
Quelques jours après l’entrée des chars russes sur le territoire ukrainien, les grandes centrales syndicales québécoises unissent leur voix pour “soutenir” l’Ukraine. Rappelons qu’en règle générale, il faut plusieurs semaines voire mois pour que les différentes centrales syndicales s’accordent sur une déclaration conjointe. Or, cette fois-ci, une semaine suffit et ce, sur une question de politique internationale, un champ pour lequel elles peinent le plus souvent à se mobiliser – on peut comparer leur rapidité à appuyer l’Ukraine à leur silence sur la question du blocus imposé depuis 60 ans au peuple cubain.
Dans la Déclaration intersyndicale de soutien à l’Ukraine du 2 mars, la FTQ, la CSN, la CSQ et la CSD accordent leur soutien sans équivoque « à l’ensemble de la population de ce pays durement affecté depuis trop longtemps par le régime d’un dictateur russe ». De cette étrange formulation on comprend d’abord que le conflit en Ukraine est unilatéral et que la Russie est une autocratie. Même son de cloche au Congrès du travail du Canada qui oppose tous ceux et celles « qui ont la démocratie à cœur » aux « tyrans [et aux] autocrates » russes.
Si l’ensemble de la communauté internationale s’entend pour condamner l’invasion de 2022, et l’escalade du conflit, il serait toutefois malhonnête de faire porter tout le blâme sur Vladimir Poutine. On diabolise ici un dirigeant élu, nationaliste, conservateur et réactionnaire. Il n’est pas rare de voir des dirigeants de la même nature chez nous, aux États-Unis et dans plusieurs “démocraties” libérales européennes. Le gouvernement du Canada, contrairement à Biden, ne considère pas la Russie comme une dictature, du moins officiellement.
À première vue, il est surprenant que les centrales syndicales s’aventurent si loin. On pourrait certainement penser que les dirigeants syndicaux s’inspirent de Radio-Canada. Le diffuseur public ne s’est pas privé de déclarer à plusieurs reprises et insinuer que la démocratie canadienne est en guerre contre la dictature russe. Pourtant, il suffit de consulter les déclarations de la Confédération syndicale internationale (CSI), à laquelle toutes nos centrales sont affiliées, pour trouver leur source d’inspiration quand il est temps de parler de politique internationale.
Au lendemain des premiers bombardements sur Kiev, la secrétaire générale de la CSI Sharan Burrow défend la nécessité et la légitimité des sanctions de la Maison-Blanche contre les dirigeants russes et invite « tous les gouvernements qui soutiennent la démocratie » à emboîter le pas. Cet appel est rapidement reformulé par Luca Visentini de la branche européenne de la CSI qui invite les leaders de l’Europe à protéger l’« intégrité de l’Ukraine » et la « sécurité des pays voisins » ; un véritable appel à l’escalade des tensions et à la militarisation.
Quand on remonte en 2003, aux déclarations de l’ancêtre de la CSI, la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), dans la foulée de l’invasion de l’Irak, on réalise que le portrait n’est guère plus nuancé. D’abord, l’opposition à l’invasion américaine est mise en second plan et la CISL mentionne à de nombreuses reprises que l’Irak est la « dictature de Saddam Hussein ». Elle rappelle « la nature répressive du régime irakien et ses infractions aux droits des travailleurs et aux libertés civiles en général ». Sans surprise, même si on peut lui trouver des similitudes idéologiques avec Poutine et questionner la légitimité de son élection, George Bush n’est pas décrit comme le dictateur des États-Unis !
Il est difficile de faire abstraction de l’hypocrisie totale des déclarations de la CSI sur l’Ukraine. Pourquoi ne pas soulever l’expansion de l’OTAN comme l’une des causes majeures de la crise ukrainienne ? Pourquoi ne pas soulever aussi le traitement des minorités russes ? Qu’est-ce que la CSI a à dire contre les infractions aux droits des travailleur-euses, aux droits d’association et aux libertés civiles du gouvernement ukrainien depuis Maidan ? Pourquoi frapper de silence l’épisode du 1er mai 2014 où la maison des syndicats d’Odessa a été incendiée? La CSI prend-elle réellement la défense des travailleuses et travailleurs ou s’entête-t-elle à être un autre porte voix de l’impérialisme occidental comme l’était la CISL du temps de la Guerre froide pour empêcher l’unité de la classe ouvrière au sein de la Fédération syndicale mondiale (FSM)?
Pourquoi nos centrales syndicales devraient-elles se faire les perroquets de la CSI ? Nos centrales syndicales devraient investir la même énergie à préserver leur indépendance sur les questions de politiques internationales qu’à promouvoir le caractère national du Québec ; s’assurer que les travailleurs et travailleuses du Québec soient souverains quand il s’agit de se prononcer sur ces questions politiques. Il est aussi plus cohérent pour nos syndicats de s’opposer d’abord à nos marchands de guerre. L’OTAN contraint le Canada à augmenter ses dépenses militaires, cet argent pourrait servir à remettre nos services publics à niveau. Un mouvement syndical fort et indépendant met au premier plan une politique de solidarité internationale qui profite à la fois aux travailleurs et travailleuses du Québec, mais aussi à ceux et celles à l’international ; soit l’inverse de ce que la CSI propose.