Ébauche pour une réponse de classe à la question de l’immigration
Ébauche pour une réponse de classe à la question de l’immigration
Stéphane Doucet
Clarté – Juin 2024
Dans un mémoire déposé l’an dernier sur la planification de l’immigration au Québec pour la période 2024-2027, le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants propose des dizaines de recommandations sur l’immigration temporaire, la protection de la langue française, les droits au travail, etc. Il recommande notamment de « ne pas soumettre la sélection de l’immigration permanente aux besoins du marché de travail qui fluctue constamment ; » « assouplir l’exigence en matière de connaissance du français et miser sur la francisation ; » « développer des indicateurs pertinents pour mesurer la capacité d’accueil ; » « abolir le permis de travail lié à un employeur unique ».
On comprend ici qu’il y a à la fois une volonté de bonifier les droits au travail des personnes immigrantes, s’attaquer aux discriminations basées sur le statut de citoyenneté, d’aborder la question de l’immigration de façon rationnelle et non sensationnaliste ou électoraliste. Étant donné la cible du document, la portée est aussi limitée. Mais dans d’autres instances, le CTI fait valoir que la solidarité entre travailleurs de diverses origines est un outil de combat contre le patronat.
Il est aussi pertinent de lire la déclaration des Métallos du 22 mars dernier en réaction aux annonces fédérales concernant les « résidents temporaires ». Le ministre libéral Marc Miller avait tout juste déclaré vouloir baisser la proportion de résidents temporaires au Canada de l’actuel 6,2 % à 5 % en 2027. Selon le gouvernement, il va imposer une réduction du taux maximum d’immigrants temporaires dans les milieux de travail, passant de 30 % à 20 %. Le Conseil du patronat du Québec n’a pas tardé à déplorer cette annonce.
Selon le Président du syndicat : « C’est bien beau abaisser à 20 % la limite dans une même usine, encore faut-il qu’elle s’applique. Avec la procédure de traitement simplifié, les employeurs contournent complètement cette limite et peuvent même recruter sans afficher au préalable des postes sur le marché du travail québécois. Le détournement du programme doit cesser. Près des deux tiers des travailleurs étrangers temporaires arrivés en 2023 au Québec ont été admis en vertu du traitement simplifié. Les règles du PTET doivent s’appliquer à tous les employeurs ». Il ajoute que si ces travailleurs occupent des postes qu’il faut pourvoir en région, ils devraient avoir le droit à l’immigration permanente ; sans quoi il s’agit d’un « système avec deux classes de travailleurs dont l’une est à statut précaire ». Ces enjeux sont pourtant passés sous silence dans les médias…
Le Syndicat canadien de la fonction publique en Ontario (SCFP-CUPE) pour sa part réagit à l’annonce du même Marc Miller concernant la réduction du nombre d’étudiants étrangers. Il note que « les étudiantes et étudiants internationaux contribuent de manière plus importante au financement de l’éducation postsecondaire provinciale que le gouvernement. » Il dénonce ainsi les coûts faramineux de l’éducation postsecondaire en Ontario et ses graves effets sur l’éducation de la classe ouvrière et des couches populaires.
Pour sa part, Unifor profite de la Journée internationale des migrants pour publier une déclaration dénonçant les « tentatives des partis et groupes politiques de droite qui utilisent opportunément la peur des migrantes et migrants pour exploiter l’insécurité économique des gens » à des fins politiciennes.
De tous les syndicats, celui des Métallos, en tant que premier syndicat du secteur privé au Québec, représente celui qui, dans son discours, s’attaque le plus à cette problématique puisqu’elle l’affecte particulièrement, notamment en région. Le danger de créer « deux classes de travailleurs » est réel et risque de faire pression à la baisse sur les salaires et conditions de travail en général.
En effet, le secteur privé est généralement beaucoup plus vulnérable à ce genre de manigance patronale : la tendance à la baisse du taux de profit nécessite une recherche constante de manières d’augmenter le taux d’exploitation en entreprise. Cette tendance est moins forte dans le secteur public, même s’il n’y échappe pas.
Devant l’instrumentalisation de la question de l’immigration par les forces réactionnaires, nous devons faire valoir l’internationalisme prolétarien à la fois contre le nationalisme étroit, la mondialisation capitaliste ou le cosmopolitisme bourgeois. L’immigration ne doit pas saigner les pays du tiers monde victimes de l’impérialisme. La capacité d’accueil est une vraie question, mais nous devons renforcer notre capacité d’accueil par un renforcement de nos services publics au lieu de blâmer son état actuel sur l’immigration alors que c’est la classe dirigeante qui les conduit au bord du gouffre.
Du reste, le mouvement syndical a pour responsabilité non seulement la défense de ses membres, mais de l’ensemble des ouvriers, travailleurs et employés. Il doit dans les faits, donc au-delà du simple discours, répondre à la problématique de l’immigration d’un point de vue de classe. Il doit lutter d’une part contre toute offensive patronale visant à faire des travailleurs migrants une source de main d’œuvre de second ordre comme il doit s’impliquer dans la solidarité internationale en luttant contre les monopoles qui pillent les ressources des pays du tiers-monde, en s’attaquant aux budgets militaires et à l’offensive impérialiste à travers le monde, y compris en Palestine, au Soudan, au Yémen, en Ukraine, etc.