César Vallejo, au-delà de la dialectique
César Vallejo, au-delà de la dialectique
Normand Raymond – Le poing artistique
redaction@journalclarte.ca
Clarté #52 – Juillet 2023
Mieux connu pour sa poésie, mise en musique et chantée par plusieurs grandes figures de la Nouvelle chanson latinoaméricaine telles que Daniel Viglietti, Pablo Milanés et Noel Nicola, César Vallejo a également écrit des romans, des nouvelles, des pièces de théâtre, des essais, ainsi que d’innombrables articles et chroniques parus dans plusieurs revues et journaux. Si certains le considèrent comme le poète universel, il est sans contredit l’un des plus grands innovateurs de la poésie latinoaméricaine du XXe siècle et, par le fait même, l’un des plus grands auteurs de la littérature péruvienne. César Abraham Vallejo Mendoza voit le jour en 1892 à Santiago de Chuco, un petit village au nord du Pérou. En 1923, il décide de s’expatrier définitivement en Europe, où il meurt à Paris, le 15 avril 1938.
Marxisme, militantisme et voyages en URSS
C’est alors qu’il est en pleine crise existentielle que Vallejo commence à s’enthousiasmer pour l’étude du marxisme dès 1927. En 1928, il rejoint le Parti socialiste péruvien (rebaptisé plus tard Parti communiste péruvien), récemment fondé par son grand ami José Carlos Mariátegui. Militant politique actif à Paris, Vallejo participe cette même année-là à la création de la cellule du parti en France. Son activisme politique lui vaut d’être expulsé de France en décembre 1930, accusé de faire de la propagande communiste. Il part alors pour l’Espagne, où il adhère au Parti communiste espagnol en 1931, année au cours de laquelle il publie à Madrid son roman prolétarien Tungstène. Après le déclenchement de la guerre civile espagnole, le 17 juillet 1936, Vallejo s’engage en faveur de la cause républicaine et collabore à la mise sur pied du Comité ibéro-américain pour la défense de la République espagnole et de son organe, le bulletin Nueva España, avec l’aide du poète chilien Pablo Neruda.
Vallejo visitera la Russie à trois reprises, en 1928, 1929 et 1931, où il sera témoin de la construction du socialisme et des changements sociaux en Union soviétique. Dans son livre L’art et la révolution, qui ne sera publié qu’en 1973 par sa veuve Georgette (Travers) de Vallejo, il propose de distinguer entre art bolchévique, art socialiste et art révolutionnaire. S’appuyant sur le matérialisme dialectique de Marx et des enseignements de Lénine, il élabore une série de réflexions inspirées par la praxis du travail en Russie et le traitement esthétique, par certains artistes soviétiques, de l’œuvre comme un instrument fondamental pour la transformation de la société.
Du modernisme à une littérature dite révolutionnaire
L’œuvre de Vallejo dépeint la vie quotidienne des êtres humains, l’injustice sociale et politique, l’exploitation des travailleurs, l’aliénation et le conflit entre le désir et la spiritualité. On constate chez lui une transformation de sa pensée qui passe progressivement du mysticisme religieux au réalisme socialiste. À cet effet, il nous est possible de distinguer trois étapes dans l’évolution de son style d’écriture : moderniste, avant-gardiste et révolutionnaire. D’abord héritier de la tradition moderniste latinoaméricaine, son premier recueil Les Hérauts noirs (1918) constitue déjà le début de la recherche d’une esthétique différente. Le passage de l’écriture à l’oralité, exprimé dans un langage familier et populaire, marque un changement fondamental dans la poésie péruvienne moderniste.
Trilce (1922), son deuxième recueil, coïncide avec l’avènement de l’avant-gardisme à l’échelle internationale et rompt définitivement avec le modernisme. Dans un langage poétique expérimental, Vallejo va jusqu’à pousser la langue espagnole dans des limites insoupçonnées qui pulvérisent les normes esthétiques et rhétoriques. Pour forger sa propre grammaire, il invente des mots, force la syntaxe, utilise l’écriture automatique et d’autres techniques empruntées aux mouvements dadaïste et surréaliste. Enfin, il propose une littérature engagée dans des causes sociales et un art militant contre la bourgeoisie.
Poèmes humains (posthume, 1939), qui correspond à la dernière phase de sa poétique, présente un humanisme essentiel, une littérature socialiste et révolutionnaire, où ses efforts se concentrent sur la lutte anti-impérialiste et pour la justice sociale et la solidarité internationale. Dans un langage plus accessible au lecteur commun, le poète cherche à se rapprocher davantage du peuple, comme s’il s’entretenait avec un ami ou un travailleur.
Espagne, éloigne de moi ce calice (posthume, 1939), dernier recueil de l’auteur, contiendrait les vers les plus intenses et les plus profonds qu’un écrivain n’ait jamais écrits sur la guerre civile espagnole. Ému par la vision de l’Espagne combattante, Vallejo met toute sa poésie au service de la cause républicaine. Composé de quinze poèmes, ce recueil est considéré ni plus ni moins comme son testament poétique.