La marge de manœuvre du capitalisme, c’est la guerre et la réaction

La marge de manœuvre du capitalisme, c’est la guerre et la réaction


Adrien Welsh
redaction@journalclarte.ca
Clarté #51 – Mai 2023


On le sait, le capitalisme vit à crédit. Son caractère parasitaire et prédateurse révèle au quotidien alors qu’il devient de plus en plus clair que son salut ne tient qu’à l’alternance de phases (de plus en plus rapprochées et violentes d’ailleurs) d’autodestruction et de reconstruction. Or, à chacune de ces phases correspond un alignement politico-économique particulier.

Les trois alignements du capitalisme contemporain

Ainsi, jusqu’aux années 1930, dans une phase conquérante et ascendante, le capitalisme était purement libéral,  avec un contrôle limité, voire absent. C’est l’époque du « laissez-faire ». Or, cette absence de régulations induit la crise de 1929 : la classe ouvrière ne peut consommer ce qu’elle produit. C’est la première grande crise de production.

Le new deal de Roosevelt plus tard théorisé par Keynes donne naissance à un deuxième réalignement des forces capitalistes. L’État s’investit un peu plus dans l’économie mais ce, au service des monopoles. C’est le capitalisme monopoliste d’État dans sa phase ascendante. Les périodes de stagflation des années 1970, mais les chocs pétroliers mettent à mal cet équilibre entre capital et travail. De même, les États impérialistes alliés commencent à se faire compétition les uns aux autres. C’est la fin des « trente glorieuses ».

Le nouveau point d’équilibre est trouvé avec le néolibéralisme, soit la dérégulation des marchés et la libre circulation des capitaux. C’est l’âge d’or des accords de libre-échange, de la délocalisation, des privatisations; bref, de la mondialisation capitaliste.

Or, ce modèle n’est pas à l’abri de toute épreuve. L’économie des pays capitalistes est artificiellement dopée au fur et à mesure que ceux-ci ne produisent pratiquement aucune valeur ajoutée. C’est ce qui donne lieu à la crise des subprimes de 2008 qui sonne le glas de cette ère néolibérale. La crise induite par la COVID19 plante un dernier clou dans le cercueil puisqu’elle dévoile les limites d’internationaliser les chaines de production (crise des semi-conducteurs, arrêt du transport maritime durant de longs mois, etc.)

Nous vivons donc une période de crise du système néolibéral. Les choix économiques d’il y a trente ans, de même que le consensus politique que celui-ci impliquait ne fonctionnent plus. Et comble du malheur, les plus lucides devant ce problème – du moins au niveau rhétorique et il est difficile de croire qu’ils aillent au-delà – sont les partisans de l’extrême-droite. Libéraux, sociaux-démocrates et conservateurs « classiques » cherchent à maintenir artificiellement l’ordre néolibéral.

C’est dans ce contexte de volatilité globale qu’il faut comprendre l’élection de Trump, sa défaite victorieuse et la montée des populismes à travers le monde. Nous vivons une période de transition et de mutation qui n’est pas sans rappeler les périodes récentes dans l’évolution du capitalisme.

Le rapport de forces

Celles-ci n’ont jamais été mécaniques. Elles correspondent à une nécessité du capital devant sans cesse remédier à la baisse tendancielle du taux de profits dans un contexte où les travailleur-euses n’ont jamais cessé de lutter pour la valorisation de leurs salaires et de leurs conditions de travail.

Lors de la crise des années 1930, le mouvement communiste naissant devient de plus en plus hégémonique dans les syndicats. Le New Deal de Roosevelt (plus tard théorisé par Keynes) ne cherche pas tant à revoir les liens entre l’État et le capital, mais aussi entre le capital et le travail. On cherche à tout prix à dépolitiser l’action syndicale (lire éloigner les communistes de la classe ouvrière) tant par la manière douce que la manière forte. C’est la base du syndicalisme jaune : on fait croire que le capital sait répondre aux revendications de la classe ouvrière.

Dans les années 1980, les décennies de McCarthyisme et de Guerre froide ont, en occident et tout particulièrement en Amérique du Nord, eu raison d’une grande partie de l’influence des partis communistes dans les syndicats et auprès de la classe ouvrière en général. La classe dirigeante a pu aller plus loin dans ses attaques, mais elle a dû composer avec un frein de taille : l’URSS et les démocraties populaires d’Europe de l’Est ainsi que leur influence auprès des travailleur-euses et des peuples en lutte du monde entier. C’est l’époque d’un syndicalisme qui s’ouvre au « dialogue social » et aux compromissions.

Et pour la suite?

Aujourd’hui, pour la première fois de l’histoire récente de l’humanité, l’absence de ce contrepoids de taille couplée à la faiblesse relative des partis communistes et des syndicats de classe donnent les coudées franches à l’impérialisme et au capitalisme dans sa guerre contre les travailleur-euses, la classe ouvrière et les peuples du monde entier.

Le capital n’a donc pratiquement rien à craindre et peut aller beaucoup plus loin qu’il ne l’aurait rêvé il y a à peine 30 ans. Il peut aujourd’hui se permettre de remplacer la logique du travail par celle d’assistant, soit une logique où la création d’emplois passe en second plan devant les allocations et où on entretient collectivement l’armée industrielle de réserve. Les syndicats affaiblis particulièrement dans le secteur privé grâce à la désindustrialisation induite par les accords de libre-échange permettent la sous-traitance ainsi que le recours à la main d’oeuvre immigrée temporaire.

Ainsi, on peut s’attendre à un réalignement des forces où la gestion sera sous-traitée grâce au télétravail, tandis qu’une partie de la production sera rapatriée et assurée par des salariés étrangers sans droits provenus des pays victimes de notre impérialisme. Quant à la population locale, elle sera payée pour son oisiveté comme l’est la population des pays du Golfe ou comme l’était la population blanche lors de l’Apartheid sud-africain.

Or, ce système ne peut fonctionner que selon deux critères. D’un côté, l’État doit s’investir de plus en plus dans l’économie. Il faut comprendre par cet investissement que son rôle n’est pas – et n’a jamais été – de partager les richesses du capital vers le travail, mais bien l’inverse. En corollaire, au lieu de réinvestir dans la production, l’État s’assure de détruire l’emploi soit par l’inflation, soit par l’augmentation des taux d’intérêts. Il investit pour intensifier le taux d’exploitation et mettre les travailleur-euses en compétition les uns aux autres ainsi que pour mettre au pas les syndicats et toutes autres organisations consacrées à la lutte de la classe ouvrière.

D’un autre côté, cette capacité d’entretenir une classe laborieuse parasitaire ne peut tenir qu’à l’aide d’une intensification du travail à l’échelle globale, ce qui implique une hégémonie impérialiste. Or, celle-ci est présentement mise à mal par la compétition globale imposée par de nouveaux alignements économiques comme les BRICS qui attaquent l’hégémonie du pétrodollar et, par conséquent de l’impérialisme occidental.

C’est ainsi que le nouveau réalignement capitaliste voulu par l’impérialisme occidental n’est viable que moyennant une guerre contre la Chine et la Russie. Personne au sein de la classe dirigeante ne s’y oppose fondamentalement : la seule opposition étant tactique.

Donc comme l’affirmait Lénine il y a déjà plus de cent ans, le capitalisme mondialisé, c’est la guerre. Peu importe les alignements du capitalisme contemporain, le but est et a toujours été de s’assurer que l’État ponctionne la classe ouvrière au profit des monopoles afin que ceux-ci se fassent compétition au point qu’au nom de leurs intérêts, les ouvriers se fassent la guerre.