Bouteldja, Audin et le Harki

Bouteldja, Audin et le Harki


Jad Kabbanji
redaction@journalclarte.ca
Clarté #52 – Août 2023


En mai dernier, Houria Bouteldja, ex porte-parole du Parti des indigènes de la République (PIR), était l’invitée de la conférence annuelle de gauche, La grande transition, organisée cette année à l’Université Concordia. Elle a participé à côté de Jairo Funez et de Sabelo Ndlovu-Gatsheni au panel Comment penser le post-capitalisme en dehors de l’eurocentrisme ? Pour une utopie non alignée. La présence de cette conférencière à cet événement montréalais est l’occasion pour nous de nous pencher sur une pensée en vogue dont Houri se veut une illustre représentante, la pensée “décoloniale”.

L’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de luttes de “races”

On peut résumer la pensée de Boutledja en une phrase et pour l’occasion, Marx nous pardonnera de dénaturer une de ses expressions les plus célèbres : L’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de luttes de “races”. En effet, la “race” chez la conférencière et plus largement au sein du mouvement décolonial remplace la classe et c’est à partir de cette classification que s’articule la théorie décoloniale. En somme, il existe dans chaque pays occidental, en particulier en France, une minorité “non blanche” et une majorité “blanche”. Toute la stratégie de Bouteldja consiste à œuvrer à une alliance de “races” entre le bloc minoritaire, qui représente à ses yeux l’avant-garde, et le bloc majoritaire pour en finir avec la suprématie raciale qui prévaut en France et en Occident depuis exactement 1492, début de la modernité occidentale toujours selon la conférencière.

La précédente référence à Marx n’est pas anodine. En effet, Bouteldja utilise quelques concepts marxistes pour saupoudrer sa pensée rétrograde alors que son analyse n’a rien de matérialiste. Pour elle, c’est uniquement à l’intérieur de la superstructure idéologique de la société que le combat décolonial se mène et aboutit. La question sociale n’a aucun intérêt pour elle. Donc, elle use et abuse de Gramsci et notamment des concepts “d’hégémonie culturelle” et de “bloc bourgeois” pour se donner bonne conscience et pourquoi pas, se faire accepter par une certaine gauche intellectuelle adepte de l’autoflagellation et en mal de repères. La présence ou l’omniprésence de l’auteur italien dans la pensée de Bouteldja n’est pas anodine. Comme d’autres avant elle, l’extrême droite s’est inspirée des écrits du cofondateur du Parti communiste italien, mort rappelons-le dans les geôles du fascisme en 1937. Le courant français de la Nouvelle Droite constitué dans les années 1970 par Alain de Benoit qui exercera une grande influence sur le Front national qui est devenu le Rassemblement national en est le parfait exemple.

Une pensée qui s’inscrit dans son époque

Cette pensée anti-moderne, relativiste et donc opposée à l’universalisme s’inscrit pleinement dans notre époque, où, crise économique oblige, on assiste à une prolétarisation progressive des couches moyennes. En effet, Houria, comme l’écrasante majorité des cadres qui se réclament de la pensée “décoloniale”, est le produit social du capitalisme néolibéral des 40 dernières années. Ils et elles représentent le pendant “immigré” des nouvelles couches moyennes qui ont essaimé au cours des dernières décennies. Or, ces nouvelles couches, très largement parasitaires, car elles consomment beaucoup plus qu’elles ne produisent, sont en voie de prolétarisation.

L’émergence de cette idéologie foncièrement réactionnaire et essentialiste parmi une partie minoritaire des élites intellectuelles issue de l’immigration est une réponse identitaire et existentialiste face à cet effacement. C’est également une réponse communautariste et isolationniste au problème bien réel de la montée du racisme en Occident qui de fait est insoluble dans le cadre du mode de production capitaliste. Les tenants de cette pensée s’aperçoivent bien que la crise économique actuelle est celle du néo-libéralisme et donc de la pensée libérale. Au bout de cette démarche, il y a donc l’idée de devenir la caution immigrée et pour reprendre les termes de Bouteldja, les représentants du “Bloc non blanc” dans son alliance raciale rêvée avec le “Bloc blanc” qui pour sa part, serait représenté par l’extrême droite classique et donc antilibérale.

«L’anti-impérialisme» réactionnaire et de pacotille

Comme toute idéologie qui évacue la notion d’exploitation et préfère celle de “l’oppression” dans son approche identitaire comme indicateur principal pour expliquer les effets du capitalisme, le décolonialisme à la sauce Bouteldja considère l’homme “non blanc” hétérosexuel comme la catégorie de la population qui subit le plus d’oppression dans la société française et occidentale. Par opposition, l’homosexualité est considérée comme un instrument de l’impérialisme occidental visant à corrompre l’avant-garde révolutionnaire constituée par les hommes “non blancs” hétérosexuels. Ainsi, selon Bouteldja, il existerait un lobby gay au service de l’impérialisme “blanc” et le combattre c’est faire acte de résistance : “C’est pourquoi, de façon analogue, les quartiers populaires [par référence aux quartiers dans lesquels une partie de la population d’origine immigrée vit] répondent à l’homoracialisme par un virilisme identitaire et… toujours plus d’homophobie. Quelle que soit la laideur apparente des réactions, elles ont une motivation commune : une résistance farouche à l’impérialisme occidental et blanc et une volonté obstinée de préserver une identité réelle ou fantasmée, ou en tout cas une identité qui fait consensus.”

La paix, pourtant combat prioritaire de l’anti-impérialisme en ces temps incertains, ne fait pas partie des préoccupations de Bouteldja. De même, elle ne s’intéresse à certaines problématiques des pays du sud que par pure posture et toujours par rapport à son combat décolonial qui, en fin de compte, ne peut être qu’occidentalocentré. Pour conclure, répondons à une devinette : dans quel monde Maurice Audin, qui a sacrifié sa vie pour combattre le colonialisme et l’impérialisme français, est un ennemi de race quant au Harki, vil serviteur de ce même colonialisme et impérialisme, est un représentant de l’avant-garde révolutionnaire ? Et bien, vous l’aurez sans doute deviné, dans le monde imaginaire de Houria Bouteldja qui est formé de fantasmes identitaires et où l’essentialisme est roi !