Bethune : né bourgeois, mort en communiste
Bethune : né bourgeois, mort en communiste
Adrien Welsh
Clarté – Novembre 2024
Internationaliste invétéré, chirurgien hors-pair, Norman Bethune demeure à ce jour l’un sinon le communiste canadien le plus reconnu. Il nait en 1890 à Gravenhurst, dans le nord de l’Ontario, puis décède dans la province du Hebei, en Chine septentrionale il y a exactement 85 ans (le 12 novembre).
Le Montréal de la Grande Dépression, où il reconnaît d’emblée une dualité entre son caractère de métropole canadienne et l’indigence dans laquelle vivent les ouvriers, particulièrement les francophones, le mène à s’intéresser au caractère social de la médecine. De fil en aiguille et particulièrement à la suite d’un séjour en URSS, il rallie le Parti communiste du Canada en novembre 1935.
On le connaît surtout pour ses exploits auprès des troupes républicaines espagnoles notamment grâce à la mise en place de la première unité de transfusion sanguine mobile, puis en tant que chirurgien de la 8e Armée de route lors de la guerre de libération chinoise contre l’impérialisme nippon. Il mourra dans l’exercice de ses fonctions, préférant sacrifier sa vie au profit de la victoire des antifascistes, anti-impérialistes et démocrates.
Pourtant, il doit également être reconnu à ce jour comme le père de la médecine socialisée au Canada, titre que l’on confère trop souvent à Tommy Douglas et aux sociaux-démocrates du NPD. En effet, dès 1935, il fait œuvre de pionnier non seulement en instillant l’idée, mais aussi en s’organisant autour d’elle.
Que dirait-il aujourd’hui, s’il voyait à quel point la Loi canadienne sur la santé est bafouée pour impliquer sans cesse plus de privé dans ce secteur? Quelle aurait été sa réaction devant l’hécatombe dans les CHSLD lors de la pandémie de COVID19? Que dirait-il, plus particulièrement devant la réforme Dubé censée être appliquée à partir du 1er décembre prochain?
Et lui qui se demandait si « les guerres d’agression, de conquêtes de colonies seraient-elles alors question de grand capital? » pour répondre que « oui, il le semble, du moment où leurs auteurs cherchent à cacher leurs objectifs réels sous le signe d’abstraction et d’idéaux grandiloquents »; comment réagirait-il en voyant que plus de 80 ans plus tard, nos gouvernants et les partis politiques à Ottawa sont plus prompts à dégainer lors de guerres de rapine qu’à investir dans l’emploi, les salaires et les services publics?
Certainement, ce gaspillage criminel lui feraient comprendre qu’il a eu raison d’intégrer le Parti communiste. Mais trêve de spéculations. Donnons-lui la parole, car le texte reproduit ci-dessous n’a pas pris une ride. Il s’agit d’un extrait du Manifeste présenté à la Société médico-chirurgicale de Montréal en avril 1936. Il est le produit d’une réflexion collective et, bien qu’il puisse être considéré comme l’un des premiers textes en faveur de la médecine socialisée, il est loin de représenter le dernier signé par Bethune. En effet, dans la foulée, il s’active à ce sujet au point d’en faire un enjeu électoral lors des élections québécoises de 1936 (malheureusement remportées par Duplessis).
Sur le fond, tout y est : l’approche holiste enracinée dans la question de classe, le système socio-économique, la médecine comme service public et son caractère universel, mais aussi le refus des demi-réformes (comme celles portées par le tandem libéraux – NPD récemment), puis, une dénonciation qui mérite réflexion contre la « charité », soit ce qu’on appelle, par euphémisme aujourd’hui, le « communautaire ».
***
La médecine doit être envisagée comme intégrée dans le tissu social et inséparable de celui-ci. Elle est le produit d’un environnement social donné.
[…]
La meilleure façon de protéger la santé serait de changer le système économique qui produit la maladie, d’éliminer l’ignorance, la pauvreté et le chômage. La pratique selon laquelle chaque individu achète ses propres soins médicaux ne fonctionne pas. Elle est injuste, inefficace, gaspilleuse et complètement dépassée. […] La médecine socialisée et l’abolition ou la restriction de la pratique privée semblent être la solution réaliste du problème. Supprimons le profit, le profit capitaliste, de la médecine et purifions notre profession de l’individualisme rapace. Rendons honteux le fait de s’enrichir aux dépens des misères de nos semblables. Organisons-nous pour ne plus être exploités comme le sont nos politiciens. Redéfinissons l’éthique médicale, non pas comme un code d’étiquette professionnelle entre médecins, mais comme un code de moralité et de justice fondamentales entre la médecine et le peuple. […] Reconnaissons que nos problèmes contemporains les plus importants sont d’ordre économique et social, et non technique et scientifique au sens étroit où nous employons ces mots.
[…]
1) La médecine socialisée signifie que la protection de la santé devient une propriété publique, comme la poste, l’armée, la marine, la justice et l’école ; 2) soutenue par des fonds publics ; 3) avec des services disponibles pour tous, non pas en fonction du revenu, mais en fonction du besoin. La charité doit être abolie et remplacée par la justice. La charité avilit le donateur et débauche le bénéficiaire ; 4) ses travailleurs doivent être payés par l’État, avec des salaires et des pensions garantis ; 5) avec une autonomie démocratique par les travailleurs de la santé eux-mêmes.
Il y a vingt-cinq ans, il était méprisable d’être appelé socialiste. Aujourd’hui, il est ridicule de ne pas l’être. Les réformes médicales, telles que les régimes limités d’assurance maladie, ne sont pas une médecine socialisée. Ce sont des formes bâtardes de socialisme produites par un humanitarisme tardif, par nécessité.
« Évacuons les profits de la médecine », Bethune (1935)