Bella Hall Gauld : « Pas par des dieux, mais par des gens »
Bella Hall Gauld : « Pas par des dieux, mais par des gens »
Normand Raymond – Le poing artistique
redaction@journalclarte.ca
Clarté #50 – Mars 2023
Pianiste, travailleuse sociale, éducatrice syndicale et militante politique, l’histoire de Bella Hall incarne la lutte incessante d’hommes et de femmes ordinaires en quête d’une vie meilleure et constitue un hommage aux véritables artisans du Canada. Elle relate sa profonde préoccupation pour la détresse humaine tant parmi les peuples autochtones, les immigrants nouvellement arrivés que les travailleurs francophones et anglophones au Canada. Bella jouera un rôle fondamental dans l’établissement du Collège ouvrier de Montréal, où seront formés de nombreux champions et dirigeants du mouvement ouvrier moderne.
Sa passion pour le piano
Née Isabella Elizabeth Hall le 31 décembre 1878 à Lindsay, en Ontario, Bella s’intéresse à la musique dès son plus jeune âge. En 1882, la famille déménage dans l’ouest et s’installe sur les bords de la rivière Assiniboine, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Brandon, au Manitoba, tout près de Sioux Valley First Nation (ou Wipazoka Wakpa), une réserve dakota où se déroulent à l’occasion des cérémonies avec danses et chants traditionnels. En 1892, la famille s’installe à Brandon, où Bella prend des leçons de piano avec un professeur local qui, impressionné par son talent, l’incite à se rendre à Winnipeg, pour suivre des leçons auprès d’un professeur de piano réputé. Quelques années plus tard, elle rejoindra un groupe de jeunes femmes qui iront étudier à Berlin, en Allemagne, où elle fréquentera une école de musique pendant un an. Puis, à la veille de la Première Guerre mondiale, Bella se retrouvait à nouveau en Europe pour étudier le pianoforte, mais cette fois à Vienne.
Très attirée par les arts sociaux, les arts qui mènent au concept de la vie elle-même à l’instar d’une culture consciente de la vie sociale, son intérêt pour la musique lui vient d’un amour profond pour l’art. Pour elle, la musique était avant tout un moyen de communiquer ses émotions à des gens en action, ceux qui luttent pour un mode de vie plus humain, qu’elle percevait comme des créateurs, des faiseurs. Ne se voyant pas vivre dans l’isolement qu’exige parfois une carrière de musicien, elle n’hésite pas à jouer du piano lors de collectes de fonds pour plusieurs communautés marginalisées.
La Rand School of Social Science et son engagement social
En 1914, sur la recommandation de J. S. Woodswort, fondateur de l’All People’s Mission, un organisme d’aide aux immigrants œuvrant à Winnipeg, Bella vient s’installer à Montréal, après avoir accepté le poste de directrice de la University Settlement, un organisme communautaire lié à l’Université McGill qui venait en aide aux femmes célibataires sur le marché du travail. Vers la fin de 1919, son engagement dans le travail social au sein de la University Settlement, lui permet de combiner théorie et pratique dans la résolution des problèmes sociaux, ce qui l’amène à étudier le mouvement ouvrier. Elle s’inscrit donc à un cours à la Rand School of Social Science, un centre d’études marxistes situé à New York. Les théories de Karl Marx, qui constituaient une grande partie du cursus sont une révélation pour Bella. En étudiant le marxisme, elle commence à voir le lien entre des actes de libération comme la Révolution russe et d’autres questions en lien avec la paix, la promotion des femmes, le renforcement des processus démocratiques et le progrès social en général. C’est là aussi qu’elle rencontre Annie Buller, une autre militante avec qui elle se lie d’amitié.
Au printemps 1920, avec l’aide d’Annie Buller, de Becky Buhay et d’un certain nombre d’autres dirigeants syndicaux de Montréal, elle fonde et organise le Collège ouvrier de Montréal. Un premier comité se réunit et Bella est élue première secrétaire-organisatrice et administratrice générale. Les cours du Collège ouvrier portent sur l’économie marxiste, l’histoire du travail, l’actualité et des sujets connexes. Elle y enseigne l’histoire du mouvement syndical et y donne même des cours de musique. Pour ce qui est de son fonctionnement pratique, on dit que les femmes y étaient si présentes comme travailleuses, enseignantes et collectrices de fonds, qu’on avait qualifié le Collège ouvrier de « matriarcat ».
Du Collège ouvrier au Parti communiste
Dès 1920, constatant que les luttes économiques des travailleurs ne pouvaient que partiellement soulager leur détresse quotidienne, elle décide de se tourner vers une solution socialiste. Étant du nombre de ceux qui accueillent l’URSS comme la première victoire du socialisme, c’est ainsi qu’en 1922, elle joint le parti politique de la classe ouvrière, le Parti communiste du Canada. Elle mentionnera plus tard que le Collège ouvrier aura su préparer le terrain en jouant un rôle important dans la formation du Parti communiste à Montréal, puisque la majorité des personnes activement associées au Collège ont rejoint le Parti lors de sa fondation. C’est au Collège ouvrier également que Bella rencontrera son futur mari, Alex Gauld, un plombier et syndicaliste. Ensemble ils deviennent rapidement des partenaires inséparables dans la construction d’un avenir meilleur pour tous et toutes.
La Ligue ouvrière féminine
Après la fermeture du Collège ouvrier en 1924, Bella travaille auprès des Jeunes pionniers, d’un camp de vacances pour enfants pauvres, ainsi que pour la Ligue ouvrière féminine qui le parrainait. L’acceptation de puissantes dirigeantes telles que Bella par le Parti communiste et d’autres partis constituait un symbole visible de l’importance croissante des femmes, pour quiconque cherchait à mobiliser la classe ouvrière canadienne. Bien qu’il soit impossible d’évaluer l’impact de ces dirigeantes et organisations radicales sur les travailleuses, leur travail pourrait bien avoir aidé à préparer les femmes à assumer un plus grand rôle dans l’activité organisationnelle dès les années 1930.
Bella Hall demeure active au sein du Parti communiste jusqu’à sa mort, le 21 aout 1961 à Montréal, Québec. Et comme elle le disait si bien : « Les miracles ne sont pas accomplis par des dieux, mais par des gens ».