Afrique du Sud : pour la première fois, l’ANC ne forme pas de gouvernement
Afrique du Sud : pour la première fois, l’ANC ne forme pas de gouvernement
Adrien Welsh
Clarté – Juin 2024
Pour la première fois depuis la tenue d’élections libres et démocratiques dans l’Afrique du Sud post-apartheid de 1994, le Congrès national africain (ANC), parti de Nelson Mandela, n’obtient pas la majorité absolue des suffrages, ce qui l’empêche de former un gouvernement. Même s’il conserve son avance relative, il devra s’allier avec une ou plusieurs forces politiques qui contestaient le scrutin et former un gouvernement de coalition.
La deuxième position a été ravie par l’Alliance démocratique, opposition de droite associée à la minorité blanche, mais aussi défenseure de politiques économiques ultra-libérales et d’une diplomatie à la solde de l’impérialisme occidental. Par exemple, elle a tenté de bloquer le recours sud-africain à la Cour internationale de justice contre le génocide israélien.
En troisième position figure le parti des Combattants pour la liberté économique (EFF) dirigé par le populiste de gauche – et ex-figure de la jeunesse de l’ANC – Julius Malema. Outre la nationalisation des industries (notamment des mines) et la redistribution des terres, il fait appel à une logique racialiste qui, plutôt que les enjeux socio-économiques, constitue la clé de voute de son discours.
Enfin, l’arrivée d’un nouveau parti a certainement contribué à dérober certaines voies à l’ANC : l’uMkhonto we Sizwe endossé par l’ancien Président ANC Jacob Zuma. Reprenant le nom de la milice armée de l’ANC, son but est clairement de livrer un règlement de compte entre clans politiques rivaux au sein de son ancienne alma mater qui l’a forcé à démissionner pour faits de corruptions. Il en a d’ailleurs été reconnu coupable.
Des élections sur fond de corruption et d’inégalités sociales
L’Afrique du Sud constitue le pays où les écarts de revenus sont les plus élevés au monde et ce, malgré différentes promesses de l’ANC qui, dans la Charte de la Liberté de 1955, liait la fin de l’apartheid racial avec la fin d’un apartheid économique et luttait pour un contrôle public et démocratique des terres et des grands moyens de production.
Or, depuis son accession au pouvoir en 1994, les inégalités n’ont cessé de croitre tandis que l’économie s’est libéralisée (notamment à partir de l’administration Thabo Mbeki, successeur de Mandela). En conséquence, le chômage y est endémique (32,9%), 55% de la population vit sous le seuil de la pauvreté, 0,01% de la population détient 15% des richesses du pays tandis que le foyer noir moyen n’a accès qu’à 5% de celles du foyer blanc moyen.
À cette situation sociale explosive, il convient de souligner les nombreux scandales de corruption qui gangrènent l’ANC à tous les niveaux (municipal, régional, national), le massacre des mineurs en grève à Marikana en 2012, le verrouillage politique du mouvement syndical COSATU sous la coupe de l’ANC et la monopolisation de ce dernier dans la « Triple-Alliance » historique entre la COSATU (de plus en plus contestée par les travailleurs) et le Parti communiste (qui remet de plus en plus en cause son appui politique au parti de Mandela).
Quelles perspectives?
Au lendemain des résultats, les cadres de l’Alliance démocratique (droite) se sont précipités pour tenter de rassurer les monopoles et exprimer qu’ils s’affaireraient à ce que l’ANC ne forme pas de gouvernement avec l’EFF et MK. Cette déclaration n’est pas vide de sens : elle sous-entend que ces partenaires seraient les plus naturels vers lesquels se tourner, ce qui, à l’inverse, commanderait des garanties solides pour plus de politiques sociales et anti-monopolistes de la part de l’ANC.
Quoi qu’il en soit cette défaite partielle survient dans un contexte national où la légitimité de l’ANC est clairement de plus en plus contestée. Mais à cette situation locale, on doit en plus souligner la complexité et la volatilité de la situation politique dans un monde en mutation et où l’Afrique du Sud joue un rôle plus affirmé notamment au sein des BRICS.
Jusqu’à quel point peut-on subordonner le socio-économique au politique? Jusqu’où l’anti-impérialisme se confond avec un appui avec des puissances émergentes? Jusqu’à quand faut-il avaler des couleuvres pour empêcher le pire? C’est ce genre de questions que les Sud-Africains ont posées. C’est à elles que l’ANC devra répondre non seulement par les discours, mais surtout dans les faits.