Alfredo Zitarrosa : la chanson populaire uruguayenne
Alfredo Zitarrosa : la chanson populaire uruguayenne
Normand Raymond
Clarté – Février 2024

Considéré comme l’une des figures les plus importantes de la musique populaire de l’Uruguay et de toute l’Amérique latine, l’auteur-compositeur-interprète, poète, écrivain, journaliste, locuteur de radio et militant communiste, Alfredo Zitarrosa, voit le jour le 10 mars 1936 à Montevideo, en Uruguay, sous le nom d’Alfredo Iribarne. Il est le fils naturel de Jesusa Blanca Nieve Iribarne, une jeune femme de 19 ans qui se marie plus tard en 1952 avec Alfredo Nicolás Zitarrosa, un journaliste argentin qui accepte de reconnaitre le jeune Alfredo comme son fils légitime, en lui donnant son nom de famille.
Son œuvre et son style musical
Bien avant de devenir l’une des personnalités les plus importantes de la chanson latinoaméricaine, Zitarrosa débute dans le milieu artistique en 1954 en tant que locuteur à la radio, s’essaie comme présentateur, animateur, scénariste et même acteur de théâtre. Il écrit également des poèmes, des nouvelles et des entrevues, pour ne citer que quelques genres littéraires. En 1959, il remporte le prix de poésie inédite décerné par la municipalité de Montevideo avec son recueil Explicaciones. Mais par son caractère très autocritique et le jugeant inutile, il n’a jamais voulu le publier. Néanmoins, en 1988, il publiera son recueil de nouvelles Por si el recuerdo, qui contient des histoires qu’il a écrites à différents moments de sa vie.
Se présentant comme un authentique défenseur de la culture, la voix grave de Zitarrosa résonne à chaque instant. Chacune des phrases, des morceaux de textes de ce poète populaire, qui s’engage par son chant et ses convictions particulièrement envers la classe ouvrière, contribue au processus révolutionnaire et nous convoque une fois de plus à lutter pour un monde meilleur. Attentif à toute merveille ou à toute souffrance dans une même mesure, par son sentiment inné d’hypersensibilité, il pouvait tout autant composer une chanson pour un papillon mort sur une pierre que pour des travailleurs assassinés pendant les années noires de la dictature et de la répression. À cet effet, « La canción quiere » est une chanson qu’il a composée suite au massacre de huit ouvriers communistes de la Section 20 du Parti, survenu à Montevideo le 17 avril 1972.
Son œuvre discographique comprenant 14 albums, il enregistre son premier El Canto de Zitarrosa en décembre 1965 et fait officiellement son entrée sur scène lors du Gran festival de folklore de l’Uruguay. Dès le début, il est reconnu comme l’une des grandes voix de la chanson populaire latinoaméricaine, avec des racines clairement à gauche et folkloriques. Toutefois, son militantisme politique, ajouté au contenu idéologique de ses chansons, lui vaut d’être banni et il doit finalement s’exiler pendant les années de la dictature en Uruguay. Il passera ainsi huit ans, un mois, trois semaines et un jour en exil, d’abord en Argentine, en Espagne, puis au Mexique, avant de pouvoir enfin rentrer dans sa patrie natale, à la fin de la dictature en 1985, où il reçoit un accueil historique et massif, salué par des milliers de personnes : une immense caravane l’accompagne tout au long du parcours.
Militantisme politique
En 1962, il rejoint d’abord le MPU (Mouvement populaire uni) et le FIDEL (Front de gauche de libération) fondé sous l’influence de la Révolution cubaine, puis le Front large en 1971. Il participe en tant que chanteur à d’innombrables actions politiques de ces organisations, de même qu’au sein du mouvement syndical. Ainsi, le processus idéologique de Zitarrosa évolue rapidement et avec lui son engagement politique. Il rejoint finalement peu après le Parti communiste de l’Uruguay et lui restera fidèle jusqu’à sa mort. La figure d’Alfredo Zitarrosa se distingue dans ce paysage politique et culturel par son marxisme déclaré lors de plusieurs entrevues, par son adhésion publique au Parti communiste de l’Uruguay et par son attitude à l’égard des droits des artistes populaires.
Retour de l’exil et fin de vie
Marquées par le déracinement et l’exil forcé, ses chansons sont souvent empreintes de tristesse mais également de messages de lutte. Certaines de ses chansons sont devenues de grands succès, à savoir : « Doña Soledad », « Pa’l que se va », « Crece desde el pie », « Stéfanie », « Adagio en mi país », « El violín de Becho » et son long poème de milonga « Guitarra negra ». À l’image de ses initiales, A.Z., il était le début et la fin de lui-même. Ayant atteint une notoriété fulgurante au début des années 1960, il a exercé un fort impact sur la société de son pays, car ses camarades qui partageaient son idéologie n’étaient pas les seuls à chanter ses chansons.
Alfredo Zitarrosa décède d’une péritonite aigüe le 17 janvier 1989, à l’âge de 52 ans. Il nous laisse l’image d’un poète, d’un survivant, d’un homme ayant fait un effort surhumain pour résister à l’exil et à son retour, parce qu’il n’en pouvait plus en raison du lien fort qui l’attachait à son pays et à l’humanité. « Comment peut-on aimer dans un monde comme celui-là? » se demandait-il, alors qu’il n’y a plus de retour en arrière possible.