De la fin du pouvoir du Baath à la libanisation de la Syrie : Les nouvelles dynamiques du Proche-Orient

De la fin du pouvoir du Baath à la libanisation de la Syrie : Les nouvelles dynamiques du Proche-Orient


Jad Kabbanji
Clarté – Février 2024


Le 8 décembre dernier, Bachar el-Assad a pris la fuite, mettant ainsi fin au régime baathiste hérité de son père, qui aura gouverné la Syrie pendant près de 54 ans. D’une part, il faut reconnaître que, depuis 13 ans, alors que les puissances impérialistes tentaient de déstabiliser la Syrie, le régime ne se maintenait que grâce à ses soutiens extérieurs, en premier lieu l’Iran et la Russie. D’autre part, sur le plan interne, le Baath avait depuis longtemps perdu le soutien populaire qu’il avait acquis grâce aux réformes sociales progressistes mises en place par Hafez el-Assad dans les années 1970 et 1980. Toutefois, ces années ont également été marquées par des actions du régime en faveur des intérêts impérialistes dans la région. À titre d’exemple, on peut évoquer l’épisode du septembre noir en 1970, l’invasion du Liban en 1976 au profit des milices phalangistes soutenues par Israël, ainsi que la participation de la Syrie à la première guerre du Golfe aux côtés des États-Unis en 1990 et 1991. À partir des années 2000, l’affairisme, le népotisme et la corruption ont progressivement pris le dessus.

C’est donc le début d’une nouvelle ère pour la Syrie, mais aussi pour la région, car les conséquences de la chute du régime baathiste dépassent les frontières syriennes et auront très probablement un impact significatif sur le Proche-Orient. Certes, la situation reste encore en évolution et plusieurs développements majeurs sont attendus dans les semaines et mois à venir. Néanmoins, il est déjà possible d’esquisser les contours du Proche-Orient de demain ou du moins ceux que l’impérialisme occidental et son bras armé, l’OTAN, cherchent à façonner.

Hayat Tahrir al-Cham : Un régime islamiste au service de l’impérialisme

La coalition ayant remplacé le Baath en Syrie s’articule autour des islamistes de Hayat Tahrir al-Cham, à savoir l’Organisation de libération du Levant. Créée en 2017, cette organisation résulte de la fusion de plusieurs groupes rebelles islamistes, dominés par les partisans de Ben Laden, notamment le Front al-Nosra. À leur tête se trouve Abou Mohammed al-Joulani, figure forte du nouveau régime désormais connue sous son véritable nom, Ahmed Hussein al-Charaa. Cette transformation vise à présenter ces anciens rebelles comme des interlocuteurs respectables avec lesquels les puissances régionales et internationales peuvent dialoguer. Mais qu’en est-il réellement ?

Malgré des promesses qui n’engagent que ceux prêts à y croire, Hayat Tahrir al-Cham impose progressivement ses idées rétrogrades à la société. Pourtant, la Syrie possède une longue tradition de laïcité et de nombreuses communautés y cohabitent, tant bien que mal. Des révoltes ont déjà éclaté, notamment au sein des communautés alaouite, kurde, druze et chrétienne, dont certains membres ont déjà pris les armes. Pendant ce temps, la Turquie, principal soutien du nouveau pouvoir, occupe une large partie des territoires syriens frontaliers. Et les États-Unis ont renforcé leur présence militaire dans les zones contrôlées par les Kurdes, tandis qu’Israël poursuit sa campagne d’agressions en bombardant sans relâche les bases militaires syriennes et en occupant des portions entières du territoire. Le nouveau régime syrien, quant à lui, se consacre davantage à la répression des minorités religieuses et ethniques, ignorant l’intégrité et l’unité du pays.

Par conséquent, le nouveau régime alimente directement les divisions et favorise la « libanisation » de la Syrie, plaçant le pays au service de l’impérialisme : chaque communauté cherche désormais un protecteur extérieur. Et qu’en est-il de l’économie syrienne ? Dans un entretien accordé au journal L’Orient-Le Jour fin décembre 2024, Bassel Abdel Aziz, nouveau ministre syrien de l’Économie par intérim, rappelle : « Notre défi est de reconstruire les institutions sur de nouvelles bases, en passant d’une économie socialiste corrompue et monopolistique à une économie de marché fondée sur la libre concurrence, à l’image d’Idleb, mais à l’échelle de tout le territoire syrien. » Or, à Idleb justement, l’économie est étroitement contrôlée par Ankara. La livre turque y est la seule monnaie en circulation et les monopoles turcs y dictent leur loi. Voici donc le modèle que Hayat Tahrir al-Cham veut généraliser à la toute la Syrie.

L’avenir incertain du Proche-Orient : Entre résistance, ambitions impérialistes et rôle croissant de la Chine

La prise de pouvoir éclair de Hayat Tahrir al-Cham et la débandade spectaculaire du régime baathiste nous amènent à nous interroger sur la stratégie de « l’axe de la résistance » dirigé par l’Iran. La chute de la Syrie, ainsi que l’affaiblissement significatif du Hamas et du Hezbollah – dont les dirigeants historiques ont été lâchement assassinés par l’armée israélienne – représentent des revers directs pour Tehran. Cette situation soulève également une question de fond : quel avenir pour une résistance fondée sur la religion et le confessionnalisme, alors que de plus en plus de pays de la région se fragmentent précisément en raison de divisions confessionnelles ? Poser cette question conduit à réfléchir sur l’avenir de l’État-nation au Proche-Orient et sur sa capacité à devenir un futur pôle de résistance face aux agressions impérialistes.

Les mois et les années à venir seront déterminants pour l’avenir de la région. Deux options se dessinent : soit les États du Proche-Orient se fragmentent davantage, entraînant une généralisation des guerres civiles confessionnelles au profit de l’impérialisme et de ses relais régionaux, Israël et la Turquie ; soit un éveil patriotique, anti-sectaire et indépendant émerge et se transforme en un véritable mouvement de libération nationale.

Cette tâche historique s’annonce difficile, d’autant plus que les ennemis sont nombreux. Il y a la nouvelle administration Trump qui a déjà démontré par le passé sa volonté de semer le chaos au Proche-Orient. Rappelons que Trump, tout en prônant une désescalade en Ukraine, a alimenté les tensions au Proche-Orient. N’a-t-il pas reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël, et ce, en violation flagrante du droit international ? N’a-t-il pas mis fin aux négociations sur le nucléaire iranien et ordonné l’assassinat du général Qassem Soleimani ?

Que dire également de sa récente nomination de Marco Rubio au poste de secrétaire d’État de Rubio ? Rubio, sous sanctions officielles de la Chine pour son soutien aux séparatistes du Xinjiang, de Hong Kong et de Taïwan, est une figure dont la présence au gouvernement ne manquera pas d’exacerber les tensions avec Pékin. En fin de compte, il devient évident que derrière cette volonté impérialiste de soumettre le Proche-Orient, c’est la Chine qui se trouve dans la ligne de mire. En effet, la Chine renforce son influence au Moyen-Orient, en particulier en faisant la promotion d’initiatives de paix dans le cadre de son ambitieux projet des nouvelles routes de la soie. L’accord de paix conclu entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, ainsi que la signature d’un pacte d’unité entre les quatorze factions palestiniennes à Pékin, illustrent parfaitement la nouvelle stratégie chinoise d’influence dans la région.