Le 25 avril 1974 et l’avant-garde communiste

Le 25 avril 1974 et l’avant-garde communiste


Adrien Welsh
Clarté #56 – Avril 2024


Minuit sonnent et, dans les premières minutes du 25 avril 1974, la Radio portugaise diffuse Grândola Vila Morena, chanson populaire censurée par le régime de l’Estado Novo. C’est le signal. L’assaut est lancé. Un peuple se lève et brise les chaines de l’une des dernières dictatures fascistes d’Europe vieille de 48 ans.

La période suivant le 25 avril aurait pu se résumer à un simple retour à la démocratie bourgeoise, comme ce qui se produirait en Espagne quelques années plus tard. Pourtant, à cette date, le peuple portugais, avec le concours des officiers militaires membres du Mouvement des forces armées et surtout du Parti communiste portugais, seule force politique organisée de la résistance, écrivent une histoire dont la portée va bien au-delà de ce pays atlantique coupé du reste de l’Europe lui-même. C’est d’ailleurs ce que plusieurs « démocrates » auraient espéré.

Pourtant, les masses populaires en décident autrement et le font savoir le 1er mai 1974 où, par la force du nombre (un million de participants mobilisés), elle rappelle aux autorités nouvellement en place qu’elles n’accepteront rien de moins qu’une démocratie avancée où la classe ouvrière aura droit de cité et jouera un rôle actif dans la liquidation des relents de fascisme. Sous une forme nouvelle, la lutte des classes continue.  Elle n’en est d’ailleurs pas moins intense.

Lorsqu’on se réfère à la Révolution d’Avril, on en fait fréquemment état seulement en tant qu’évènement portugais. Pourtant, sa portée est effectivement internationale.

En effet, la Constitution votée en 1976 affirme, dans son préambule, que le Portugal s’engage à bâtir une société sans classes. Elle souligne également la nature pacifique du pays et rejette toute participation aux guerres extérieures – de facto, l’adhésion du pays à l’OTAN est anticonstitutionnelle.

Sur le plan économique, on assiste à un vaste chantier de nationalisations.

En matière de solidarité internationale, grâce à l’action des communistes (et malgré l’opposition de l’ensemble des autres partis politiques, y compris les sociaux-démocrates), l’Empire colonial portugais est démantelé et des millions d’Africains et Asiatiques arrachent leur indépendance avec la fin de guerres coloniales sanglantes.

En d’autres termes, pour la première fois, dans un pays membre de l’OTAN, la base locale de l’impérialisme est fragilisée.

Sans contredit, ces avancées conquises par la lutte ne l’auraient été sans l’action décisive du Parti communiste portugais. Beaucoup plus que les résultats électoraux, elles en prouvent l’influence réelle. Cependant, le fait que la transformation socialiste du pays n’ait pas eu lieu, ni même que les réformes initialement établies par le programme du PCP de 1965 ou celui du MFA n’ont été conquises dans leur ensemble prouvent qu’entre les forces de la révolution et celles de l’électoralisme, c’est ce dernier courant qui a gagné. D’ailleurs, aussitôt adoptée, la Constitution a été allègrement bafouée d’un commun accord de l’ensemble des forces politiques qui se sont succédé au gouvernement.

Or, comment peut-on expliquer cette situation alors que l’on sait que le PCP, seule force politique organisée du temps de la dictature, force de frappe la plus influente dans les différentes organisations ouvrières, syndicales et démocratiques au lendemain de la Révolution d’avril, n’ait pu conquérir le pouvoir politique?

Pour y répondre, il faut passer par une question intermédiaire : « l’avant-garde est-elle suffisante pour bâtir le socialisme? »

Dans Le Parti en toute transparence, publié environ dix ans après le 25 avril, le Secrétaire général du PCP, Alvaro Cunhal, fort de l’expérience de la Révolution des oeuillets, répond clairement à cette question. La valeur et la portée de sa réponse sont sans contredits universelles.

***

La conception de l’avant-garde du PCP n’a rien à voir avec un faux avant-gardisme, selon lequel l’action politique et révolutionnaire n’incombe pas aux masses mais à de petits groupes ou à des petits chefs qui décident de tout et font tout.

La conception de l’avant-garde du PCP n’a rien à voir non plus avec les vieilles conceptions aristocratiques ou petites-bourgeoises des « minorités actives », des « héros libérateurs », selon lesquelles la révolution sociale serait l’oeuvre d’une minorité éclairée, bien organisée et déterminée dans la lutte, qui, en se lançant seule au combat final, entrainerait la majorité du peuple.

Ces conceptions et tendances, aussi vieilles que le mouvement ouvrier, rencontrent une sorte de bouillon de culture dans la mentalité de la petite-bourgeoisie, quand celle-ci s’engage dans les processus révolutionnaires. C’est pourquoi elles ressuscitent et réapparaissent fréquemment avec le temps. […]

Aucune révolution profonde de caractère social ne fut jusqu’à aujourd’hui réalisée sans la participation décisive et créatrice des masses populaires.

Une avant-garde qui pense pouvoir résoudre seulement par son action ce que seules la classe et les masses peuvent résoudre tombe dans le volontarisme et dans l’aventurisme, conduisant à la déroute presque invariablement. […]

Pour qu’un parti soit l’avant-garde de la classe ouvrière, il ne suffit pas d’affirmer qu’il l’est véritablement.