La lutte des classes contre le dialogue social

Plus que jamais, l’action économique de la classe ouvrière doit être prolongée politiquement. Or, la classe dirigeante cherche à lui imposer un faux dilemme entre la direction social-démocrate du mouvement syndical qui cherche à anesthésier les luttes d’une part; et de l’autre, un populisme ouvriériste antisyndical et réactionnaire cherchant canaliser le potentiel créateur et révolutionnaire de la classe ouvrière contre elle-même.

La lutte des classes contre le dialogue social


Adrien Welsh
Clarté #56 – Avril 2024


Au Canada, selon les plus récentes données, ce sont plus de 2,2 millions de journées de travail qui ont été perdues pour cause de grèves en 2023, soit un record depuis des décennies. Les augmentations salariales inscrites aux conventions collectives s’élèvent en moyenne à 3,7% (pour une inflation de 3,9%), mais à 4,6% pour la première année d’implantation.

Pour comprendre ces données dans une perspective historique, il faut rappeler qu’en 1980, le saut d’index se situait à 13%… On ne fait donc que rattraper les années 1990, années pourtant peu glorieuses pour le monde du travail et son affrontement contre le capital.

Pendant ce temps, les profits montent. Les statistiques ne manquent pas pour l’illustrer, mais l’une des plus signifiantes est la suivante : au pays, les entreprises de plus de 1000 employés (autrement dit, les monopoles) génèrent 85 000$ de profits par tête chaque année – soit plus que le salaire moyen lui-même.

Or, l’élément nouveau cette année n’est pas tant le simple renforcement des questions socio-économiques comme préoccupation principale auprès des masses populaires. Il s’agit plutôt d’un véritable retour de la riposte de la classe ouvrière qui reprend conscience peu à peu que rien n’est acquis, mais tout est à conquérir ou à défendre devant un patronat qui ne désarme jamais.

C’est ainsi que le gouvernement Legault a dû composer avec un front commun et des syndiqués du secteur public prêts à aller jusqu’à la grève générale pour défendre leurs conditions de travail et les services publics. À Québec, même après plus de 600 jours de lock-out, les débardeurs refusent d’accepter les offres patronales. Les 155 000 employés de la fonction publique fédérale ont fait grève pour la première fois depuis pratiquement 20 ans tandis qu’en Colombie-Britannique, les débardeurs, malgré leur nombre relativement restreint, ont mené la grève la plus couteuse pour le patronat pour l’ensemble de l’année passée. Bien qu’ils n’aient pas fait grève, les ouvriers de l’automobile ont forcé la main aux monopoles du secteur.

Cette remontée des luttes ouvrières tous azimuts n’est pas circonscrite au Canada. On peut notamment penser aux grèves dans l’industrie cinématographique états-unienne – ne nous méprenons pas : il s’agit d’une industrie stratégique pour le pays et pour l’impérialisme US, ou encore dans le secteur automobile. On peut aussi souligner les grèves européennes dans les transports, services publics, voire la CGT qui s’apprête à accueillir les JO… à sa façon!

Malgré un taux de syndicalisation relativement stable au Québec et au Canada, on remarque néanmoins une tentative d’organisation au sein d’un des plus importants monopoles de la distribution : Amazon.

Ainsi, plus de conflits (grèves comme lock-outs) et de plus longue durée sont des signes qui prédisent que la lutte risque de s’intensifier. Dans l’immédiat, pensons au récent rejet de l’entente proposée par la partie patronale au Port de Montréal ou encore à la lutte qui sévit à la SAQ. On peut aussi envisager une bataille importante dans le secteur de la construction où les conventions collectives arrivent à terme.

La classe ouvrière déterre la hache de guerre.

Pourtant, elle le fait envers et contre certains de ses représentants syndicaux. Par exemple, les ouvriers d’Airbus refusent une entente pourtant recommandée par l’Association internationale des machinistes. À la FIQ, la base refuse l’entente de principe proposée. Les salariés du Front commun ratifient à faible majorité les ententes, une tendance encore plus marquée auprès des professeurs notamment au sein de la FAE. Bref, les syndiqués prennent de court leur direction et n’hésitent pas à la renvoyer au charbon non pas dialoguer, mais lutter contre le patronat!

Bien que de manière plutôt timide, la solidarité internationale commence à reprendre place au sein du mouvement syndical particulièrement à travers la question de Palestine. Il s’agit là aussi d’un exemple de regain de combattivité. En février 2022, les principales centrales s’entendaient pour défendre la position de l’OTAN par CSI interposée. Le 7 octobre dernier, au mieux, elles brillaient par leur silence.

Aujourd’hui, poussées par les mobilisations où une grande partie de leurs membres est impliquée, mais aussi par le déroulement de la situation, elles n’ont d’autre choix que d’adopter une position au moins en défense du consensus à l’ONU et à la Cour de justice internationale qui évoque un génocide en Palestine.

Que les questions internationales influent dans les instances syndicales à une telle enseigne représente en soi une véritable avancée potentielle dans la lutte. Il s’agit, en définitive, d’opposer la collaboration ouvrière internationaliste et anti-impérialiste à la collaboration de classe.

Ce regain de combattivité syndicale s’opère également envers et contre ceux qui prennent le mouvement syndical pour acquis. Pensons notamment à Vincent Marissal qui affirmait au mois de mars : « qu’en attendant un de mettre fin pour de bon au privé en santé avec un gouvernement solidaire […] », les travailleurs devraient s’occuper de broutilles et laisser le reste aux mains d’un éventuel gouvernement solidaire…

Plus que jamais, l’action économique de la classe ouvrière doit être prolongée politiquement. Or, la classe dirigeante cherche à lui imposer un faux dilemme entre la direction social-démocrate du mouvement syndical qui cherche à anesthésier les luttes d’une part; et de l’autre, un populisme ouvriériste antisyndical et réactionnaire cherchant canaliser le potentiel créateur et révolutionnaire de la classe ouvrière contre elle-même.

C’est d’ailleurs ce qui est attesté par les récents sondages plaçant la majorité des salariés comme défenseurs du Parti conservateur – secteur public comme privé confondus.

Il n’y a rien d’étonnant : tant que le mouvement syndical considèrera le dialogue social comme son but, il sera à la remorque du pouvoir des monopoles. D’ailleurs, nul besoin d’en débattre : le minstre Dubé rappelait en entrevue avec Patrice Roy à quel point la perte de popularité de la CAQ et du gouvernement Legault représente pour lui une épreuve de moindre envergure que lorsqu’il gérait des entreprises et devait composer avec des sydnicats… communistes (la CGT, sans doute)!

Et oui, pour la classe dirigeante, rien n’est plus dangereux qu’une classe ouvrière politiquement consciente et offensive, qui refuse le faux dilemme social-démocratie (pour ce qu’il en reste) ou extrême-droite. Rien n’est plus dangereux qu’une classe ouvrière qui réclame l’exercice du pouvoir politique et qui se prépare à le conquérir.