Non à l’intervention de la CEDEAO – sous-traitant par excellence de la Françafrique

Non à l’intervention de la CEDEAO – sous-traitant par excellence de la Françafrique


Adrien Welsh
redaction@journalclarte.ca
Clarté #52 – Août 2023


Le 26 juillet dernier, l’impérialisme français a été à nouveau ébranlé. Après le Mali en 2020 – 2021, puis la Guinée, puis le Burkina, c’est au tour du Niger de connaitre un coup d’État aux accents anti-Françafrique. Ce pays sahélien duquel l’ancienne puissance coloniale importe plus de 15% de son uranium, le Président Mohammed Bazoum a été déposé par la Garde présidentielle et son chef, Abdourahmane Tiani.

Aussitôt, l’ancienne puissance coloniale et ses alliés dans la sous-région (réunis au sein de la CEDEAO) se sont empressés à y voir un coup d’État illégitime, justifiant une intervention militaire le 11 aout dernier ainsi qu’une série de sanctions qui frappent le Niger (notamment la fin de la fourniture d’électricité du Nigeria voisin et la fermeture des frontières, ce qui empêche à ce pays enclavé d’accéder à ses importations).

Bien sûr, la Communauté des États de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) – souvent décrite comme la version néocoloniale de l’Afrique occidentale française (AOF) – justifie ces sanctions qui tiennent en otage le peuple nigérien et cette possibilité d’invasion militaire sous prétexte de restaurer l’ordre démocratique. Or, c’est on ne peut plus clair : le but de ces manœuvres est de maintenir intacts les intérêts de l’impérialisme occidental dans la sous-région dans un contexte où de nouvelles influences (notamment chinoises et russes, mais aussi états-uniennes et des pays du Golfe) défient le pré carré « françafricain » imaginé par De Gaulle et Foccart, puis imposé par la force de Bob Denart et autres barbouzes.

Macron lui-même ne s’en cache d’ailleurs pas. Le 31 juillet dernier, il affirme ne pas tolérer qu’on s’en prenne à « la France et [à] ses intérêts. »

De quels intérêts parle-t-on? Bien sûr, le principal atout du Niger consiste en son uranium. Or, dans un contexte de guerre contre la Russie et de marché de l’énergie particulièrement tendu en Europe (qui importe plus du quart de son uranium du Niger), il ne fait aucun doute que permettre à ce pays de se dérober de son giron économique est impensable.

Il faut aussi comprendre que les intérêts de la France dans la région vont bien au-delà des simples ressources naturelles. Après l’ère des indépendances, ce pays s’est assuré d’assoir son autorité sur ses anciennes colonies d’une façon particulièrement violente. Le colonialisme a cédé sa place à un néocolonialisme où les décisions politiques et économiques ne sont plus prises dans les capitales nationales, mais à Paris, par la cellule Afrique de l’Élysée. Ainsi, Modibo Keita, Président du Mali, qui affirme vouloir développer son pays selon la voie du socialisme scientifique est déposé puis emprisonné en 1968. On connait également le sort de Thomas Sankara, assassiné en 1987 après avoir appelé les chefs d’État africains à ne plus payer la dette héritée du colonialisme. Quant à la Guinée, on a fait payer le prix fort à son peuple pour avoir osé, en 1958, voté « non » au référendum sur la Communauté française d’Afrique.

Le Niger ne fait d’ailleurs pas exception à la règle dans ce schéma. Dès son indépendance en 1960, l’impérialisme français n’a pas hésité à travailler vers la déposition du premier Président de la République, Hamani Diori. Ce dernier avait, dès 1946, collaboré avec le Parti communiste français et ainsi oeuvré pour la lutte de libération nationale. En 1974, il est déposé et depuis, les ressources naturelles du pays sont mises en régence et pillées par des monopoles français comme Areva (aujourd’hui Orano) avec des bénéfices clairs pour la bourgeoisie compardor locale.

Outre les questions politiques, il faut rappeler que l’économie entière de ces pays est toujours contrôlée par la France. En effet, la monnaie commune, le Franc CFA, est imprimé en France. Les pays ne peuvent donc exercer leur souveraineté monétaire quant à la quantité de billets émis. De plus, sa valeur est fixée selon l’Euro, ce qui la gonfle artificiellement dans un but précis : empêcher le développement d’une économie productive puisque les produits manufacturés sont difficilement exportables devant la distorsion monétaire. Conséquemment, les petits entrepreneurs se tournent donc vers l’importation et la revente à prix fort, ce qui implique une économie largement parasitaire et sous-développée. Du reste, la Banque de France siège au Conseil d’administration de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’ouest où toutes décisions doivent être prises, comme par hasard, à l’unanimité… Autrement dit, l’ancienne puissance coloniale bénéficie d’un droit de veto sur toutes les décisions monétaires de la zone CFA, ce qui explique d’ailleurs la volonté des pays qui en sont membres de remplacer cette monnaie d’ici 2027. Or, avec le Mali, le Niger et le Burkina qui semblent chercher une certaine émancipation, il y a possibilité de ratées qui ne soient pas du gout de la France et de ses alliés dans l’élaboration de cette nouvelle politique monétaire commune.

Dans un tel contexte, il ne fait aucun doute que le peuple et les travailleur-euses du Niger manifestent leur ras-le-bol et cherchent à s’extirper de cette situation. Leur haine de Mohammed Bazoum et de ceux qui l’ont précédé est d’autant plus justifiée que la France stationne dans la région des milliers de soldats sous prétexte de lutte contre les groupes terroristes qui écument la région en conséquence du démantèlement de la Libye dans les années 2010. Or, les différentes opérations (Serval, Barkhane, etc.) n’ont rien donné si ce n’est qu’empirer la situation et ce, parfois à cause de directives surréalistes dont l’interdiction imposée à l’armée malienne de participer à la libération du nord du pays au plus fort de la guerre contre le terrorisme au Sahel – un terrorisme par ailleurs corollaire à l’invasion impérialiste de la Libye quelques années plus tôt.

S’il est vrai que de plus en plus, ce coup d’État arbore des facettes anti-impérialistes – notamment en ce qui a trait à son appui populaire – il n’en demeure pas moins qu’au Niger comme dans tous les pays dirigés par une bourgeoisie comprador, la classe dirigeante est peu consolidée et par conséquent instable. Elle se vend au plus offrant. C’est ainsi qu’on a vu une guerre civile en Côte d’Ivoire au début des années 2000 qui s’est prolongée en 2010-11 justement dans un conflit entre Ouattara (pro-Français) et Gbagbo (plutôt proche des États-Unis). En Amérique latine, on a également vu Noriega avoué, puis désavoué, par les États-Unis, prouvant que même l’impérialisme choisit ses alliés sans véritable principe. Plus récemment d’ailleurs, il convient de rappeler que les Talibans, ennemis jurés du monde occidental il y a à peine 20 ans, sont devenus de bons partenaires…

On ne peut donc affirmer avec certitude que les aspirations du peuple nigérien soient mieux servies par la junte militaire putschiste. L’impérialisme ne se résume pas à la lutte contre un seul pays ni à la défense d’une seule cause. Il s’agit d’un système global aux ramifications aussi multiples que complexes. Il nous faut donc user de la prudence en analysant la situation au Niger, d’autant plus que ce coup d’État ne répond à aucune force populaire organisée et arrive plutôt ex nihilo.

Par contre, ce qui est clair, c’est que toute intervention militaire étrangère ne servirait en aucun cas les travailleur-euses et le peuple du pays, ni celui de la région surtout lorsque l’appel vient manifestement de la France et de ses sous-traitants locaux. D’ailleurs, le Mali et le Burkina ont déjà affirmé que moyennant une telle intervention, ils s’engageraient en faveur du gouvernement de transition issu du coup d’État.

Ainsi, malgré les interrogations légitimes et la situation incertaine, il reste que cette tentative de se dérober du joug de l’impérialisme et du néocolonialisme français constitue un premier pas important pour les peuples d’Afrique. Il ne s’agit pourtant pas de l’aboutissement d’une lutte anti-impérialiste et, insistons sur ce fait, le peuple nigérien n’a aucune raison de baisser la garde si réellement il tient à sa souveraineté. La lutte ne fait que commencer.

De notre côté, notre tâche principale est de s’opposer à toute intervention étrangère au Niger et affirmer notre solidarité avec son peuple en respectant son droit à l’autodétermination et en faisant confiance à sa capacité à gérer lui-même ses problèmes internes.